Les politologues et les instituts de sondages disaient du Parti d’action nationaliste (MHP, droite nationaliste) qu’il serait le grand perdant des législatives du dimanche 24 juin. Pourtant, le MHP a suscité la surprise en recueillant 11 % des voix.
Une aubaine pour son partenaire de coalition, le Parti de la justice et du développement (AKP islamo-conservateur) de M. Erdogan, ainsi tiré d’un bien mauvais pas. Sans cette alliance, l’AKP, avec 42 % des voix, était assuré de perdre sa majorité parlementaire.
Le chef du MHP, Devlet Bahçeli, 70 ans, a salué lundi le « succès historique » de l’Alliance du peuple, qui est venu déjouer les plans de ceux qui misaient sur un scénario de crise. « C’est avec stupéfaction que nous assistons au succès et à l’essor du peuple », a déclaré M. Bahçeli.
AVEC CINQ PARTIS REPRÉSENTÉS, LE PARLEMENT TURC EST DIVERSIFIÉ ET TRÈS POLARISÉ, À L’IMAGE DE LA SOCIÉTÉ
Son étonnement est compréhensible. Lui-même n’a guère fait campagne, il n’affichait pas de programme. Son unique revendication était la libération d’Alaattin Cakici, un ancien chef de la pègre qui purge actuellement une peine de prison. « Est-il juste de laisser nos frères moisir derrière les barreaux ? », avait-il interrogé en vain le 23 mai après lui avoir rendu visite à la prison de Kirikkale. Le président turc n’a pas voulu entendre parler d’amnistie.
Etonnamment, le score du MHP est le même que celui réalisé aux législatives de novembre 2015 alors qu’entre-temps un schisme s’est produit au sein du parti, quand Meral Aksener, l’une de ses égéries, a fait défection pour créer son propre parti (Iyi Parti, Le Bon Parti) à l’automne 2017, entraînant avec elle une partie de la base.
La « dame de fer » de la politique turque pensait chasser sur les terres de l’électorat nationaliste. Elle a mené sa campagne tambour battant, malgré les obstacles placés en travers de sa route par le pouvoir islamo-conservateur : électricité coupée, salles impossibles à louer, militants attaqués. A Gaziantep, ville proche de la frontière syrienne, des camions envoyés par la mairie AKP ont bloqué son convoi, empêchant ainsi la tenue de son meeting.
En tant que candidate à la présidentielle, Meral Aksener a obtenu 7,3 % des voix, moins que Selahattin Demirtas, le leader kurde qui a fait campagne depuis sa prison (8,4 %). Aux législatives, Le Bon Parti a recueilli 10 % des suffrages, soit 44 députés au nouveau Parlement qui en compte 600 en tout, contre 550 autrefois. C’est un échec pour cette ancienne ministre de l’intérieur qui a peut-être payé dans les urnes son alliance avec le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), à l’origine d’une ouverture en direction de l’électorat de la gauche pro-kurde.
Attaques et intimidations
Muharrem Ince, le candidat du CHP à la présidentielle, est allé rendre visite à Selahattin Demirtas à la prison d’Edirne (ouest). Il a demandé publiquement sa libération. Meral Aksener l’a réclamée elle aussi.
Or, aux yeux des ultranationalistes, le problème kurde n’existe pas. MmeAksener n’étant pas tout à fait sur cette ligne, elle n’a pas pu séduire les électeurs nationalistes. Selon les analystes, les suffrages recueillis par Le Bon Parti venaient du CHP, pas du MHP.
Avec cinq partis représentés, le Parlement est diversifié et très polarisé, à l’image de la société. Le fait que deux partis de la droite nationaliste – MHP et Bon Parti – y siègent témoigne de la vigueur de ce courant politique.
Sa résurgence va de pair avec la montée en puissance du discours agressif envers la gauche kurde, devenu monnaie courante chez une bonne partie de l’élite au pouvoir. Attaques, intimidations, interpellations ont d’ailleurs été le lot des candidats du Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurde) tout au long de la campagne.