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Le Monde, le 22/01/2021
Par Paul Tavignot (Bakou, envoyé spécial)
RÉCIT
En reprenant le Karabakh aux Arméniens, le président Ilham Aliev a répondu aux aspirations nationalistes de son peuple, y compris des dissidents. S’il en sort renforcé dans son pays, il ruine des années d’efforts pour polir son image auprès de l’Europe.
Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, 59 ans, pose en treillis devant la grande mosquée de Choucha, reconquise par son armée deux mois plus tôt, le 8 novembre 2020. Sur les photos, prises le 15 janvier 2021 à l’occasion de la première visite présidentielle dans cette ville érigée en « capitale culturelle » du pays, il est accompagné de son épouse, la première vice-présidente, Mehriban Alieva, et de leur fille aînée, Leyla, toutes deux également en tenue militaire, le visage mangé par d’énormes lunettes de soleil. Autour d’eux, personne. Excepté de lointaines sentinelles, visibles de dos. Ces images veulent montrer que le triomphe militaire émane de la personne du « commandant suprême victorieux », selon l’expression désormais employée par les médias officiels.
Les Arméniens ont été chassés de cette forteresse naturelle qu’eux nomment « Chouchi », objectif militaire et politique prioritaire du conflit qui a embrasé le Karabakh, du 27 septembre au 9 novembre 2020, au terme d’un spectaculaire assaut mené par les forces spéciales azerbaïdjanaises, à travers les falaises. « Nous avons détruit leur armée en combattant des canons et des chars avec des armes légères et des couteaux. Où étaient-ils ? Ils ont fui et se sont cachés à Erevan », dit avec exagération le président, dans un registre ubuesque destiné à la télévision d’Etat.
Lire aussi notre reportage :A Choucha, cité meurtrie du Haut-Karabakh, les forces azerbaïdjanaises sous contrôle russe
Pour louer sa « glorieuse armée », il affectionne les expressions imagées : « Notre poigne de fer leur a brisé le dos et écrasé la tête. S’ils nous provoquent, notre réponse sera très dure. Ils le regretteront avec une autre défaite amère, exulte le dirigeant. Nous avons prouvé notre force au monde entier. Nous avons forcé l’ennemi [arménien] à s’agenouiller et à signer l’acte de capitulation. »
Depuis la victoire du 9 novembre, après quarante-quatre jours de combats, le sourire ne quitte plus ses lèvres. Longtemps mal-aimé, parce qu’il avait hérité du pouvoir de son père, en 2003, et qu’il vivait dans une bulle de luxe, il savoure ce triomphe personnel patiemment élaboré. A partir de 2005, il a converti des pétrodollars azerbaïdjanais en achats massifs d’armes russes, israéliennes et turques : des drones, des blindés et des systèmes de brouillage bien plus perfectionnés que ceux dont disposaient les Arméniens.
Aliev a su exploiter les erreurs tragiques du pouvoir arménien – notamment en juillet 2020, quand le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a effectué un pas de danse, à Choucha, et déclaré : « Le Karabakh est arménien, un point c’est tout ! », décuplant la colère de l’opinion publique azerbaïdjanaise. Il a habilement profité de ce que l’attention mondiale avait les yeux rivés sur la campagne présidentielle américaine.
De nombreux Azerbaïdjanais ont célébré leur président, Ilham Aliev, et le soutien apporté par la Turquie, lors du défilé militaire organisé à Bakou, le 10 décembre 2020, à l’occasion de la victoire au Karabakh. LAURENCE GEAI POUR «LE MONDE»
Au même moment, l’allié turc surmontait sa crainte de titiller la Russie sur les marches de l’ex-URSS et offrait pour la première fois à l’Azerbaïdjan son assistance militaire, qui fit la différence dans les airs. Sur le sol, en revanche, l’usage de chair à canon syrienne, des mercenaires envoyés par Ankara pour percer les premières lignes arméniennes a desservi l’image de Bakou. Mais il avait accompli l’essentiel. Le mythe de la supériorité militaire arménienne était jeté aux orties.
La reconquête du Karabakh marque l’apogée du régime Aliev, l’instant où son action, de manière exceptionnelle, épouse les aspirations profondes des Azerbaïdjanais. Ilham Aliev rend aux 10 millions d’Azerbaïdjanais les 20 % du territoire national occupés pendant vingt-sept ans par la « République du Haut-Karabakh », qu’aucun pays au monde n’a reconnue.
Le souvenir d’une humiliation nationale
Si le narratif arménien se concentre sur la question du Haut-Karabakh, il passe sous silence le problème plus large du Karabakh. Cette région, dont le nom signifie « jardin noir » en turc, comprend sept districts, qui étaient très majoritairement peuplés d’Azerbaïdjanais avant leur occupation par les séparatistes arméniens. Ravagée et réduite à une zone tampon pour assurer la sécurité de la République du Haut-Karabakh, elle est devenue un symbole de l’humiliation nationale et de la souffrance.
Près de 780 000 Azerbaïdjanais en furent chassés, jetés dans la misère, entre 1992 et 1994, à la fin de la première guerre. A ce chiffre s’ajoute celui des 200 000 personnes qui ont fui, entre 1987 et 1991, une Arménie encore soviétique, en pleine ébullition nationaliste. Selon le chercheur en sciences politiques Farid Guliyev, de l’université Justus-Liebig de Giessen, en Allemagne, les réfugiés et les personnes déplacées représentent environ 13 % de la population du pays et, en 2016, un habitant sur quinze était réfugié ou déplacé. S’il ne l’a pas vécu lui-même, chaque Azerbaïdjanais a entendu mille fois le récit tragique de compatriotes chassés de chez eux par les milices ennemies.
« Les déplacés ont le sentiment que leur histoire, les injustices qu’ils ont subies et leur désir de retourner dans les foyers qu’ils ont perdus, il y a un quart de siècle, ne sont pas racontés par les médias internationaux, explique Zaur Shiriyev, analyste azerbaïdjanais de l’ONG International Crisis Group. L’Azerbaïdjanais moyen pense qu’à la suite de la signature du cessez-le-feu, en 1994, la communauté internationale n’a fait que retarder la résolution du conflit. Cette perception est très forte parmi les personnes déplacées du Karabakh. Beaucoup m’ont dit que seule la guerre leur permettrait de rentrer chez eux. »
La victoire sort Ilham Aliev de l’ornière. Depuis 2014, la baisse des prix du pétrole érode le pouvoir d’achat des ménages dans ce pays très dépendant des hydrocarbures. En 2020, le pétrole a ainsi représenté 90 % des exportations et a pesé pour un tiers du PIB de l’Azerbaïdjan, selon l’Agence internationale de l’énergie. Le confinement sévère mis en place, en mars 2020, pour lutter contre la pandémie de Covid-19 a porté un coup de massue aux couches paupérisées et accentué la forte disparité sociale. L’opulente Bakou, qui, avec ses gratte-ciel et les flux de 4 × 4 rutilants encombrant ses artères, prend des airs de « Dubaï du Caucase », dissimule aussi d’innombrables taudis.
Dans un immeuble décrépi du quartier de Darnagul, Elnur Taguiev, 49 ans, tire sur sa cigarette en méditant sur la victoire. « Je vais rentrer à la maison [au Karabakh] dès que le président Aliev l’autorisera. J’attends ce moment depuis trente ans », explique avec un enthousiasme un peu forcé cet électricien au chômage originaire de Tarovlu, un village frontalier de l’Arménie. De sa maison, comme du reste du village, il sait qu’il ne reste que quelques pierres rongées par les intempéries.
Implacable avec les voix discordantes
La guerre a regonflé le moral de Jeyhun Mirzoev, 30 ans, chef de peloton de reconnaissance au sein de l’armée et professeur d’histoire au lycée dans la vie civile. Lors d’une courte permission à Bakou, à la mi-décembre 2020, il confiait combien son quotidien d’enseignant à Lankaran, ville du sud du pays, est difficile. « Mon salaire est de 600 manats [moins de 300 euros] et je ne vois pas comment je pourrais améliorer mes revenus, confie-t-il entre deux récits de ses exploits guerriers. Je suis heureux d’avoir participé à l’écriture d’une page glorieuse de l’histoire nationale. Si nous avons pu l’emporter, c’est grâce à la sagesse du président Aliev ! »
Nombreux sont les Azerbaïdjanais à afficher leur adulation pour leur dirigeant. Les autocollants à son effigie ne sont pas rares sur la lunette arrière des voitures. Ramil Aliev, un jeune employé au ministère des affaires étrangères (sans lien familial avec le président) aime répéter que le « président a toujours raison ». Il récite les bons mots d’Ilham Aliev, dont il a mis le portrait en fond d’écran sur son téléphone, avec une déférence marquée, et monte sur ses ergots dès qu’un doute est exprimé sur les intentions du président. Le culte de la personnalité se pratique sans complexe.
Le feu d’artifice tiré pour clore la parade militaire de la victoire, le 10 décembre 2020, à Bakou. LAURENCE GEAI POUR «LE MONDE»
D’immenses portraits du fondateur de la dynastie, Heydar Aliev, ornent la plupart des villes du pays. Des photographies du père et du fils Aliev sont accrochées dans toutes les salles de classe. Le système politique est à l’avenant : Ilham Aliev a été élu à trois reprises (en 2008, en 2013 et en 2018), avec plus de 85 % de voix, lors de scrutins entachés de nombreuses irrégularités, selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – la prochaine élection est prévue en 2025. Le Parlement est aux ordres et débarrassé de l’opposition, les institutions décoratives… Le corollaire de cette personnalisation du pouvoir est la répression implacable des voix discordantes. Le Centre pour l’étude de la démocratie et la surveillance des élections, une organisation indépendante azerbaïdjanaise, dénombrait cent huit prisonniers de conscience en juin 2020. Et l’ONG Reporters sans frontières place l’Azerbaïdjan à la 168e place sur 180 de son classement mondial de la liberté de la presse.
Khadija Ismayilova, 44 ans, est l’une de ces voix. Journaliste d’investigation, elle a dévoilé le népotisme du clan Aliev et la corruption de l’élite. Refusant de céder aux intimidations du pouvoir (dont un chantage à la diffusion de ses ébats sexuels, enregistrés par une caméra dissimulée chez elle), Mme Ismayilova a été incarcérée un an et demi, entre fin 2014 et mi-2016, dans le cadre d’une parodie de procès, dénoncée par la communauté internationale.
« Pour une fois, il a agi avec justesse »
Selon la journaliste, la guerre dans le Karabakh a chamboulé les rapports entre le régime, la société civile et les dissidents. « Aliev a été surpris du soutien très large dont il a bénéficié dans la société civile. Et de voir ceux qui le critiquaient se rallier au drapeau pour soutenir l’armée. Ceux-là mêmes qu’il qualifiait de pro-Arméniens ne se sont pas du tout révélés pro-Arméniens », explique-t-elle au Monde, en s’incluant dans cette catégorie.
Ilham Aliev, dit-elle, « sort très renforcé de la guerre ». « Il est très impopulaire à l’Ouest, ajoute-t-elle. Mais, pour une fois dans sa vie, il a agi avec justesse. Ce n’est pas sa guerre à lui, c’est celle des centaines de milliers de victimes qui ont souffert de ce conflit. » Le rapport de force entre le pouvoir et la société devrait, selon elle, évoluer : « Les citoyens ont plus de pouvoir aujourd’hui. Jusqu’alors, nous avions deux problèmes : le conflit et le dictateur. Notre nation souffrait du complexe des vaincus, qui affaiblissait la société civile et renforçait le régime. Désormais, il lui sera moins aisé de manipuler le public par des amalgames entre les voix critiques et l’ennemi arménien. »
Ilham Aliev ne paraît pourtant pas prêt à abandonner cette rhétorique. Le 15 janvier 2021, à Choucha, il qualifiait le parti d’opposition Front populaire d’Azerbaïdjan (ex-Müsavat) de « traîtres ayant humilié [son] peuple aux yeux du monde ». Ce parti fut au pouvoir un an et demi, durant la brève période démocratique qui suivit l’indépendance de l’Azerbaïdjan, après la dislocation de l’URSS, en 1991 – et en pleine guerre dans le Karabakh. « Le Front populaire-Müsavat et les éléments antinationaux avaient livré Choucha à l’ennemi ; ils ont fui et se sont cachés », a martelé le président.
« Le message [présidentiel] vise à discréditer l’opposition actuelle, analyse Anar Mammadli, grand militant des droits humains. C’est sa tactique traditionnelle pour montrer que l’époque du Müsavat fut désastreuse. Il persiste à justifier l’étendue de son pouvoir par des comparaisons avec le passé. » La veille du discours de Choucha, le dirigeant du Front populaire, Ali Karimli, déplorait sur sa page Facebook faire l’objet de poursuites judiciaires pour « évasion fiscale ». Des poursuites qu’il estime liées à ses critiques du pouvoir.
Le « commandant suprême » ne paraît pas davantage disposé à renoncer aux discours de haine contre les Arméniens, contredisant son affirmation selon laquelle le « problème du Karabakh est réglé ». Dans ce même discours, Ilham Aliev a « reconnu sa responsabilité dans la propagande de la haine et de la guerre, il s’en est même vanté », déplore Hamida Giyasbayli, spécialiste azerbaïdjanaise des conflits du Caucase, à l’université d’Innsbruck, en Autriche. Il a notamment déclaré : « Je suis le leader de l’Azerbaïdjan depuis dix-sept ans. La génération qui a grandi ces années-là a libéré [le Karabakh] (…). C’est leur éducation patriotique et leur haine de l’ennemi qui nous ont conduits à la victoire. »
Mme Giyasbayli explique que « la haine a été instrumentalisée par le pouvoir pendant de nombreuses années ». « Nous en voyons maintenant le résultat, dit-elle. La propagande belliciste est très efficace. L’Azerbaïdjan a fait des efforts pour montrer qu’il était un pays multiculturel, mais il peine à y parvenir quand les déclarations véhiculent un tel niveau de haine. »
Pessimiste, elle note qu’aucun effort n’est fait pour réparer les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Un constat aussi valable à Erevan. « Il subsiste encore une immense colère et de l’agressivité à cause [des atrocités des Arméniens] commises pendant la première guerre. La justice n’a toujours pas été rendue. » Selon l’experte, les Arméniens doivent donner des signes de bonne volonté à la société azerbaïdjanaise, sans quoi le régime d’Aliev continuera de les utiliser comme boucs émissaires à chaque frustration.
Depuis la reconquête territoriale, l’arménophobie prend désormais la forme d’une appropriation culturelle. Le nouveau ministre de la culture azerbaïdjanais, Anar Karimov, mène une campagne niant l’origine arménienne du patrimoine chrétien présent dans le territoire du Karabakh. Selon la doxa officielle, toutes les églises et monastères auraient été érigés par un royaume antique appelé « Albanie du Caucase », lequel a disparu au VIIIe siècle.
Les Oudis, une ethnie chrétienne comptant quelque 4 000 individus en Azerbaïdjan, sont désignés par Bakou comme héritiers légitimes de ce patrimoine. Leur foi chrétienne permet au régime de parer l’accusation selon laquelle il mènerait une « guerre de religion ». Les Arméniens, eux, sont qualifiés d’imposteurs et d’affabulateurs autant par les officiels que par les historiens et les journalistes proches du pouvoir. Aucun historien hors des frontières n’accordant crédit à cette théorie, le régime risque de renforcer son isolement sur la scène internationale.
Une présence russe dérangeante
Les questions qui préoccupent aujourd’hui les Azerbaïdjanais concernent le futur statut du Haut-Karabakh (3 000 kilomètres carrés), la présence militaire russe pour cinq ans renouvelables (près de 2 000 soldats protègent 150 000 Arméniens situés de facto hors de la juridiction de Bakou), le désarmement des séparatistes arméniens, la reconstruction, le déminage et le retour subséquent de un million de déplacés. Impopulaire, la présence des soldats russes, perçus comme des colonisateurs alliés de l’Arménie, est devenue le thème de prédilection d’une opposition azerbaïdjanaise très affaiblie.
« L’opposition tente d’utiliser les problèmes sociaux et la présence dérangeante des Russes pour mobiliser les mécontents. Beaucoup pensent que les Russes aident les Arméniens en secret, observe Bahruz Samadov, analyste politique azerbaïdjanais à l’université Charles, de Prague. Reconstruire le Karabakh va nécessiter beaucoup de temps et d’argent. Cela va influencer négativement le quotidien des Azerbaïdjanais et leurs revenus. Tous les déplacés ne sont pas enthousiastes à l’idée de “rentrer”. L’Etat ne sait pas comment résoudre ces problèmes. » Pour l’heure, il n’y a pas vraiment de contestation. Le régime, note M. Samadov, est en train de passer « du totalitarisme hégémonique – avec l’apathie ou l’acceptation passive du peuple – vers le populisme autoritaire, où il bénéficie d’un soutien massif ».
Le verrouillage du système politique obéit à une logique interne, mais aussi à une tendance régionale observée dans le Caucase et l’Asie centrale. En matière de politique étrangère, Aliev va-t-il troquer son treillis pour ses costumes italiens de diplomate et de pourvoyeur d’hydrocarbures ? Le dirigeant n’a pas hésité, lors du défilé militaire victorieux du 10 décembre, à Bakou, à présenter la région du Zanguézour (dans le sud de l’Arménie) et « Erivan » (Erevan) comme « [leurs] terres historiques ». Les optimistes ont pensé que le président se contentait de rappeler qu’avant 1987 une importante population azerbaïdjanaise vivait sur le territoire de l’Arménie actuelle.
Autre signal anxiogène : des exercices militaires conjoints avec la Turquie doivent se dérouler du 1er au 12 février 2021 dans la province turque de Kars, à la frontière avec l’Arménie. Les exercices les plus importants jamais organisés entre les deux pays alliés, en face de la base militaire russe installée à Gumri, située en Arménie.
L’Azerbaïdjan a plus que jamais soif de pétrodollars. La guerre est une activité onéreuse, et Bakou s’inquiète du déclin rapide de ses réserves d’hydrocarbures, annoncé à l’horizon 2030. Désirant se diversifier, le pays a inauguré, fin 2020, le gazoduc transadriatique, dernier tronçon du corridor permettant d’acheminer le gaz azerbaïdjanais jusqu’en Italie, via la Géorgie et la Turquie. Il doit permettre à l’Europe de diminuer sa dépendance au gaz russe.
Les pétrodollars ont huilé la diplomatie du régime. Durant les années 2005-2020, diplomates, hommes politiques, experts, journalistes, ont été appâtés avec des cadeaux, de l’argent, des voyages gratuits. Une « diplomatie du caviar ». Des personnalités politiques européennes prises la main dans le sac ont été sanctionnées. Dernier en date, l’ancien député italien, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), Luca Volonte a été condamné, le 11 janvier, à quatre ans de prison, par un tribunal de Milan, pour avoir perçu 500 000 euros, en échange du blocage de l’adoption, par l’APCE, en 2013, d’un rapport sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan.
Risque d’isolement
Pour améliorer leur image, Ilham Aliev et son épouse n’hésitent pas à investir, par exemple, dans la restauration d’églises en France, en Italie et en Russie, soignant ainsi une image tolérante et multiculturelle. L’Azerbaïdjan n’est pas un pays musulman comme les autres. Il faut tendre l’oreille pour entendre l’appel à la prière. On y mange du cochon, et les célébrations s’arrosent à la vodka. Peu de femmes sont voilées. L’islam politique y est pourchassé, n’en déplaise au « frère turc ».
Pour autant, « les tentatives de rapprochement [avec l’Europe] n’ont pas abouti à des liens solides, observe le politologue Kavus Abushov, professeur associé à l’université des affaires publiques et internationales de Bakou. Bakou a été déçu par l’Occident. Depuis dix ans, sa perception a changé. Nous voyons une Europe affaiblie, qui n’a pas apporté un soutien franc à l’Ukraine et à la Géorgie » lorsque Moscou a empiété sur leur souveraineté. Ce qui aurait conduit le régime Aliev à préférer resserrer ses liens avec Ankara et avec Moscou.
Le pays risque de s’isoler, écrit M. Guliyev : « Si le régime veut éviter le scénario biélorusse d’une intégration volontaire ou involontaire dans l’orbite sécuritaire et économique dirigée par la Russie, ou l’auto-isolement du Turkménistan, le régime d’Aliev doit s’ouvrir. Rompre avec l’Occident serait très impopulaire auprès des Azerbaïdjanais, si l’on excepte les cercles musulmans les plus conservateurs. La domination russe serait considérée comme un retour au néocolonialisme russe. Par conséquent, le régime est fortement poussé à faire des concessions pour maintenir le vecteur occidental, et notamment pour contrebalancer la diplomatie coercitive russe. »
L’ex-ambassadeur azerbaïdjanais à Paris, Elchin Amirbayov, désormais conseiller diplomatique de Mme Alieva, se dit partisan de l’ouverture : « Il serait naïf de penser que l’Azerbaïdjan puisse seul reconstruire le Karabakh. On va impliquer la communauté internationale », expliquait le diplomate au Monde, fin décembre. Mais, si le conflit a renforcé l’image d’Aliev dans son pays, il en va différemment à l’extérieur. Les efforts déployés pendant de nombreuses années pour séduire l’Europe ont été ruinés par la guerre. Décrié, considéré comme un pays agresseur soutenu par l’incontrôlable président turc, Recep Tayyip Erdogan, et employant des mercenaires syriens, l’Azerbaïdjan est sorti perdant de la guerre de l’information.
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