Défaut de communication, incohérences légales et confusion administrative de la part des autorités turques ne cessent de compliquer la compréhension même de la situation du photographe français de 37 ans qui travaille depuis cinq ans en Turquie. Arrêté le 8 mai à Hasankeyf au sud de la Turquie où il effectuait un reportage sur le Tigre et l’Euphrate pour le magazine National Geographic, Mathias Depardon a été transféré le lendemain vers un centre de rétention géré par la Direction des affaires migratoires à Gaziantep, ville proche de la frontière syro-turque.

 

 

Prétexte de la carte de presse

On lui reproche de n’avoir pas de carte de presse à jour, sa dernière demande de renouvellement n’ayant pas abouti, ce qui légalement équivaut à une absence de permis de séjour et doit conduire à une expulsion dans les quarante-huit heures. L’expulsion a été ordonnée le 11 mai par la Direction des migrations qui continue pourtant de le détenir jusqu’à aujourd’hui. «Le problème du renouvellement des cartes de presse pour les journalistes étrangers est très courant de la part de la Direction des médias à Ankara et des dizaines de dossiers traînent depuis des mois, mais généralement sans conséquence», indique Erol Onderoglu, représentant de Reporters sans frontières (RSF) à Istanbul.

 

Il semble bien dans le cas de Mathias Depardon qu’il s’agisse d’un prétexte. Car, dans le même temps, on a aussi reproché au photographe des contacts avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), bête noire classée «terroriste» par Ankara. Une accusation qui repose sur d’anciens reportages publiés dans diverses publications avec lesquelles collabore le photographe. «L’accusation de contact avec l’organisation classée comme terroriste par la Turquie pourrait conduire à une procédure judiciaire, or le parquet n’a poursuivi aucune action contre Depardon», souligne Erol Onderoglu. «La prise de contact n’est pas facile et les autorités ne veulent pas communiquer sur cette affaire», dit aussi le représentant de RSF.

 

L’association parvient à s’informer via l’avocate du photographe, Emine Seker, seule personne autorisée à rentrer en contact avec lui. Les demandes de l’ambassade de France à Ankara «pleinement mobilisée depuis l’arrestation de notre compatriote pour obtenir sa libération», selon le quai d’Orsay, n’ont pas abouti. Même le droit de visite prévu par les conventions internationales est resté lettre morte. Depuis qu’elle a annoncé la grève de la faim entamée par son client, l’avocate s’est rendue à Ankara pour tenter de démêler l’affaire avec la Direction des affaires migratoires et le ministère de l’Intérieur.

Accusations de propagande

Les conditions de travail se sont dégradées pour les journalistes, étrangers comme locaux, en Turquie, depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016. Pas moins de 100 reporters, selon RSF, sont en prison, et le pays occupe une très peu flatteuse 155e place sur 180 dans le classement sur la liberté de la presse établi en 2017 par l’ONG. Mais un traitement plus sévère touche ceux qui sont accusés de contacts avec le PKK. C’est le cas en particulier du correspondant de Die Welt, le germano-turc Deniz Yücel, détenu depuis février et accusé de «propagande pour une organisation terroriste» et «incitation à la sédition». En avril, un journaliste italien, Gabriele Del Grande, a été arrêté pendant qu’il faisait un reportage sur les réfugiés à la frontière syrienne et expulsé après deux semaines de détention.

 

«Cela laisse à penser que les autorités turques se servent de la carte des journalistes comme moyen de pression supplémentaire sur les Européens pour rappeler la qualification du PKK comme organisation terroriste», estime Erol Onderoglu. Dans ce cas, reste à savoir si Erdogan, lors de sa rencontre avec Macron, voudra faire valoir le nécessaire respect des lois turques. Ou s’il pourrait faire un geste envers le nouveau président français en ordonnant la libération ou l’expulsion de Mathias Depardon.

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