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Le Point, le 17/06/2015
Il était l’un des géants de la vie politique turque. L’ancien président Süleyman Demirel, décédé mercredi à l’âge de 90 ans, a mené pendant près d’un demi-siècle une carrière mouvementée en surmontant tous les aléas, y compris deux coups d’État militaires. Conservateur modéré mais surtout très pragmatique, Süleyman Demirel restera plus dans les mémoires pour son art de la survie politique que pour ses réalisations. Au gré des circonstances, il a su faire cause commune avec les islamistes, les sociaux-démocrates ou l’extrême droite pour se maintenir au pouvoir.
L’une de ses expressions favorites résume parfaitement l’homme et sa carrière : « Hier était hier, aujourd’hui est aujourd’hui. ». À partir de 1965, Süleyman Demirel a gouverné la Turquie pendant plus de onze ans à la tête de sept gouvernements, la deuxième plus longue carrière de Premier ministre après celle de l’actuel président et ancien chef de l’exécutif, Recep Tayyip Erdogan. Il a ensuite été élu en mai 1993 neuvième président de Turquie depuis la fondation de la République en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, le couronnement d’une exceptionnelle épopée personnelle, entamée après le premier coup d’État militaire du 27 mai 1960.
L’armée, justement, a pesé tout au long de cette carrière, sans qu’il ne remette jamais clairement en cause le poids qu’elle a exercé sur la vie politique du pays. Deux de ses sept mandats ont été interrompus par deux coups d’État militaires, en 1971 et 1980. Né en novembre 1924 à Islamkoy près d’Isparta, à 400 kilomètres au sud-ouest d’Ankara, Süleyman Demirel, surnommé « Coban Sülü » (Süleyman le Berger) pour ses origines paysannes, est entré dans la vie politique en 1964, après son élection à la tête du Parti de la justice (AP, conservateur).
Ingénieur de travaux publics, marié mais sans enfant, il est vite surnommé « Baba » (Papa en turc) par ses partisans, en raison de ses origines populaires par ses partisans. Il se déclare alors « héritier » du Parti démocrate, dissous après le putsch militaire de 1960, et dont le chef, le Premier ministre Adnan Menderes, avait été pendu avec deux de ses ministres.
Plus jeune Premier ministre à 40 ans en 1965, il est contraint à la démission par les militaires en 1971. Première chute, et premier retour. En 1977, il prend la tête d’un gouvernement de coalition avec les islamistes de Necmettin Erbakan et les ultranationalistes, puis en 1979, d’un gouvernement de minorité soutenu par les anciens partis de la coalition de droite. Et en septembre 1980, il est de nouveau chassé du pouvoir par les militaires.
En 1982, M. Demirel, avec d’autres dirigeants de son Parti de la justice, est interdit d’activités politiques pour dix ans, son parti ayant été dissous. Cette interdiction est levée cinq ans plus tard, en 1987, par référendum, et il se lance à nouveau dans la politique. Il devient chef du Parti de la juste voie (DYP, centre droit), créé en 1983 sous son inspiration. En novembre 1991, Suleyman Demirel est à nouveau Premier ministre, cette fois d’une coalition droite-gauche. Puis il devient chef de l’État à la mort de Turgut Özal en 1993.
C’est sous sa présidence que M. Erbakan, premier chef de gouvernement islamiste de Turquie, est chassé du pouvoir sous la pression de l’armée, en juin 1997, dans ce que les analystes turcs qualifient aujourd’hui de « coup d’État post-moderne ». La Constitution lui accorde un mandat unique de sept ans, mais le Premier ministre Bülent Ecevit, son rival pourtant en politique, tente de la modifier in extremis, en avril, pour qu’il puisse bénéficier d’un second mandat. Mais les députés turcs refusent.
Inébranlable, Süleyman Demirel laisse alors entendre qu’il ne quittera pas la vie politique pour autant. « Si je retourne à ma maison, ce ne sera pas pour m’occuper du jardin et des fleurs », lance-t-il. Même contraint à la retraite, le vieil homme apparaissait encore de temps en temps pour prodiguer ses conseils à la classe politique en se posant en référence morale. Mais sans jamais trahir sa devise : « Je suis au-dessus des partis politiques. »
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