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La Libération, le 17/03/2016
Recep Tayyip Erdogan, le 10 février. Photo Adem Altan. AFP
Journalistes, universitaires, avocats et même une actrice… Tous ceux qui affichent leur soutien aux Kurdes sont dans le viseur répressif du président Erdogan
«Ce qui se passe en Turquie ressemble à l’URSS de Staline»
Ses mots ont au moins le mérite de la clarté. «Les définitions du terrorisme et du terroriste devront être réécrites et nous devons les inclure dans le code pénal. Il ne s’agit pas de la liberté de presse ni celle d’organisation. Certains milieux doivent faire un choix. Ils doivent être soit avec nous soit à côté du terroriste», martelait lundi le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan, dans son palais à Ankara puis il est revenu à la charge deux jours plus tard clamant devant les élus locaux de l’AKP, son parti, au pouvoir depuis 2002, que «les terroristes ne sont pas seulement ceux qui brandissent des armes mais aussi ceux qui ont des stylos à la main». «Que tu sois un éditorialiste qui exprime une opinion ne me regarde pas mais si ta plume est à la solde des terroristes, tu es contre moi, point final», a-t-il insisté sous les applaudissements. Avant même l’ouverture du sommet européen où doit être signé un accord pour enrayer le flux de migrants, le très autoritaire président turc donnait le ton et passait aux actes relançant l’offensive contre ceux qu’il considère comme les complices des rebelles kurdes du PKK accusés d’avoir organisé l’attentat d’Ankara qui a fait 37 morts dimanche.
Le délit de propagande terroriste, déjà passible de cinq ans de prison deviendrait un crime. Mais avant même ces modifications du code pénal, les autorités sont passées à l’offensive. Dès mardi trois universitaires, parmi les quelque 2000 signataires turcs et étrangers de la pétition pour la paix «Nous ne serons pas les complices de vos crimes» ont été arrêtés sur ordre d’un tribunal d’Istanbul. Le texte dénonçait les opérations de la police spéciale et de l’armée turque dans les districts du sud-est anatolien, à majorité kurde, et revendiquait «une solution politique et pacifique» du problème kurde qui a repris depuis cet été après l’interruption des négociations avec le PKK lancées par Erdogan en 2013.
Un défi à l’Europe
«Ces arrestations sont complètement anticonstitutionnelles et sont en contradiction avec les verdicts récents de la cour constitutionnelle», a dénoncé İbrahim Kaboglu, juriste de l’université Marmara d’Istanbul. Un universitaire britannique Chris Stephenson venu soutenir ses collègues a été arrêté le lendemain accusé de distribuer des tracts appelant aux célébrations de Newroz (nouvel an Kurde, le 21 mars) du HDP (Parti démocratique des peuples, kurdes et gauche, 59 sièges sur 550). Il a depuis été expulsé. Le gouvernement demande en outre la levée de l’immunité parlementaire de 9 députés du HDP dont son coprésident emblématique Selahattin Demirtas qui avait publiquement réclamé cet automne «une forme d’autonomie» pour les 15 millions de Kurdes du pays. Erdogan s’était engagé en personne dans l’affaire exigeant du Parlement «de faire le nécessaire» pour sanctionner «les députés qui soutiennent le terrorisme».
Par ailleurs, sept avocats du barreau d’Istanbul, défenseurs en général des Kurdes et de membres de l’opposition ont été également arrêtés. Ils sont accusés eux aussi «d’aider l’organisation terroriste séparatiste». Une actrice renommée Fusun Demirel, 58 ans, a été immédiatement virée de la série télévisée à laquelle elle participait au lendemain de la parution d’une interview, dans laquelle elle disait: «Quand j’étais jeune je voulais aller à la montagne, lire, rejoindre la guérilla, mais mon père m’a envoyé en Europe pour des études universitaires.»
Alors que l’Europe se prépare à faire de la Turquie la gardienne de ses marges mais aussi à relancer un processus d’adhésion commencé en 2005 mais aujourd’hui en panne, Recep Tayyip Erdogan durcit la répression. C’est un défi ouvert à Bruxelles et aux pourtant bien timides propos des dirigeants européens rappelant que les libertés fondamentales, dont celle de la presse, sont des valeurs essentielles. «Ce qui se passe actuellement en Turquie ressemble beaucoup à l’Union soviétique de Staline», écrit l’universitaire Ahmet Insel dans le quotidien Cumhuriyet dont le directeur de la rédaction, Can Dündar, et le chef du bureau d’Ankara risquent la prison à vie pour avoir publié en mai dernier une enquête et des photos montrant les livraisons d’armes par les services secrets trucs à des groupes islamistes radicaux syriens. Leur procès s’ouvre à la fin de la semaine prochaine.
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