La romancière turque Asli Erdogan vient d’être arrêtée. Pour ses idées et ses écrits. Fébrile, fantasque, fragile, fascinante, Asli Erdogan  est une femme libre que l’on souhaite priver de liberté, une personne dont l’intelligence est perçue nécessairement comme une provocation.
J’ai rencontré Asli Erdogan au Festival Est-Ouest de Die en 2009. Le thème de la 19ème édition du festival étant « D’Istanbul à Berlin », elle était l’une des invitées de marque. À l’époque, son nom était très en vogue et l’on considérait même qu’elle serait l’une des plus grandes figures de la littérature turque. Contrairement à d’autres qui se croyaient déjà au firmament des élu(e)s, Erdogan était surprenante de par sa simplicité, même si l’on sentait une profonde solitude et une certaine distance habilement préservée.
Physicienne de formation, grande voyageuse, citoyenne militante, Asli Erdogan est une auteure acclamée qui, en décrivant la sauvagerie de notre monde, pose les jalons d’un monde qui pourrait être meilleur. Dans La Ville dont la cape est rouge, dont l’action se passe à Rio de Janeiro, la protagoniste prénommée Özgür (« libre » en turc) cherche sa place et sa vocation dans une société humaine qui s’apparente à la jungle :
« Pendant longtemps, Özgür avait cherché un écrivain apte à échanger le monde réel, mais aussi irrationnel dans lequel elle vivait, contre un monde plus fictif mais en même temps plus proche de la réalité.
Finalement, elle comprit que la seule personne capable de donner un sens au vide qui l’entourait, c’était elle. Personne d’autre ne pouvait à sa place déchiffrer les énigmes de la vie, ouvrir ses cadenas. Elle avait commencé à écrire le jour où elle avait déterminé sa position de défense contre la violence aveugle de la ville. » (La Ville dont la cape est rouge, Actes Sud, 2003, p. 94-95.)
La violence observée à Rio de Janeiro, où Asli Erdogan a vécu pendant deux ans, est un mal endémique et universel. La folie des hommes n’a pas de limites. Lorsque la logique destructrice s’enclenche, rien ne peut la renverser.
L’écriture pour dire qu’on n’est pas dupe et qu’on peut rêver à autre chose. L’écriture à la fois incisive et mélancolique d’Asli Erdogan s’approprie cette liberté-là . Et forcément dérange.
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