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BFM TV, le 09/09/2018
Plusieurs pays émergents voient leur monnaie dégringoler cette année. Directeur adjoint du Centre études prospectives et d’informations internationales (CEPII), Christophe Destais estime que ces perturbations sont causées notamment par la politique économique américaine.
Rien ne va plus chez les émergents. Après une belle année 2017 pour l’économie mondiale, les choses se sont gâtées pour certains pays. Ces derniers mois, plusieurs ont vu leur monnaie dégringoler.
Le peso argentin a perdu près de la moitié de sa valeur face au dollar depuis janvier, forçant le gouvernement à faire appel au FMI -qui lui a accordé une aide de 50 milliards de dollars- et à lancer cette semaine un vaste plan d’austérité. La livre turc a chuté 40% et le conflit politique entre Recep Erdogan et Donald Trump accentue le doute des marchés sur la capacité du président turc à mener une politique rationnelle.
Malgré le départ du président Jacob Zuma, accusé de corruption, l’Afrique du Sud n’est pas sortie d’affaires, le rand est sur une pente descendante depuis le printemps (-25%). Le réal brésilien a également perdu 20%, alors que l’élection présidentielle approche.
Directeur adjoint du Centre études prospectives et d’informations internationales (CEPII), Christophe Destais estime que ce phénomène est causé notamment par la politique économique américaine. Si elle n’est évidemment pas une bonne nouvelle, cette crise des émergents ne présente pas nécessairement, selon lui, un risque pour la croissance des pays développés.
DR – Christophe Destais, directeur adjoint du CEPII.
Pourquoi ces pays sont tous en crise au même moment?
Christophe Destais: Il y a un certain nombre de causes communes à ces situations. La principale relève des changements dans la politique économique américaine.
Les effets de la politique monétaire sont les plus évidents. La banque centrale américaine, la Fed, a relevé ses taux à plusieurs reprises. Cela a créé un double phénomène: d’une part le dollar s’est apprécié, d’autre part les taux américains sont repartis à la hausse. Puis, la réforme fiscale de Donald Trump va accroître le déficit et donc augmenter le besoin de financement de l’État américain. Tout ceci contribue à attirer les capitaux internationaux vers les États-Unis, au détriment d’autres pays, notamment les émergents.
Or, ces derniers sont dépendants des capitaux étrangers pour financer leur économie. Si le robinet du financement se ferme, ces pays entrent en crise, et les marchés le savent. C’est pourquoi, dès qu’il se referme un peu, les investisseurs se retirent encore plus vite et la source se tarie.
Pour certains pays, des éléments politiques viennent s’additionner. Concernant la Turquie, indépendamment de la crise avec les États-Unis, les marchés financiers internationaux mettent probablement en doute la capacité du gouvernement à maintenir une croissance élevée et équilibrée. Ils réalisent que la concentration très forte du pouvoir au main d’un autocrate conduit à une politique économique qui n’est pas forcément très rationnelle, en particulier avec les investissements de prestige (aéroport surdimensionné, palais présidentiel démesuré…).
Le Brésil est probablement le pays pour lequel les incertitudes politiques jouent le plus. Cela fait presque quatre ans qu’on ne sait plus qui va gouverner le pays dans six mois. Comme tous les pays émergents, ils ont des problème de solde budgétaire, mais les déséquilibres externes ne sont pas tellement importants par rapport aux autres.
Comment ces pays réagissent-ils face à cette situation?
C.D. : À court terme, ils n’ont pas d’autre solution que de stabiliser leur économie. L’objectif est de ne plus être dépendant des capitaux étrangers, autrement dit il faut que l’investissement provienne de l’épargne domestique. Cette transition est difficile à mettre en Å“uvre, le risque est de casser la croissance et d’avoir des politiques destructrices du tissu économique, comme c’était le cas dans les années 1980. C’est là que le FMI peut utilement intervenir, certes il pose des conditionnalités, mais apporte aussi de l’argent frais ce qui permet de lisser l’effort.
Ensuite, il y a une question d’aléa moral à régler. Quand tout va bien, les investisseurs privés se tournent vers les émergents, mais dès que ça va mal, ils demandent que les émergents fassent appel au FMI pour rembourser leur dette vis-à -vis des investisseurs privés. Il y a une responsabilité des pays émergents à ne pas mettre en Å“uvre des politiques économiques qui les rendent extrêmement dépendants des financements étrangers. Ils doivent mettre en place une politique de gestion intelligente des flux de capitaux internationaux, auquel le FMI pourrait apporter une contribution intelligente.
Pour endiguer la crise, les banques centrales de ces pays ont augmenté leurs taux, les gouvernements lancent des politiques d’austérité… leur économie va subir un coup de frein, faut-il s’en inquiéter?
C.D. : Le risque est d’entraîner des récessions, des enchaînements récessifs, voire dépressifs de l’économie. C’est pourquoi, les gouvernements doivent faire attention à ne pas mettre en Å“uvre des politiques économiques extrêmement restrictives.
Pour autant, cette situation n’est pas nécessairement un danger pour la croissance des pays avancés. Ils ont déjà connu des périodes de forte croissance, alors que les émergents étaient dans une situation difficile, notamment dans les années 1990. Ce peut être un facteur aggravant, mais le conflit commercial lancé par les États-Unis à l’encontre de la Chine et de l’Europe est bien plus grave que l’évolution des pays émergents.
Doit-on craindre des risques de contagion sur le plan financier?
C.D. : La Banque des règlements internationaux (BRI) tient des statistiques qu’il faudrait regarder de plus près pour se forger une opinion. Mon sentiment c’est que l’impact financier sur les banques des pays industrialisés sera gérable.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une situation de défaut absolu de pays ayant accumulé une dette extérieure considérable. Il faut relativiser la situation. Puis, on l’a vu avec la Turquie, l’exposition des banques françaises ou allemandes n’est même pas comparable à celle qu’elles pouvaient avoir sur la Grèce en 2010.
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