Le sort de Fethullah Gülen, considéré par les autorités d’Ankara comme le « cerveau » du coup d’Etat raté du 15 juillet, risque de mettre à rude épreuve les relations avec les Etats-Unis, où le prédicateur s’est installé depuis 1999. « Si Gülen n’est pas extradé, les Etats-Unis sacrifieront nos liens bilatéraux à ce terroriste », a mis en garde le ministre de la justice, Bekir Bozdag, le 10 août, évoquant la montée d’un sentiment antiaméricain au sein de la population turque, tout en précisant qu’il appartient aux autorités américaines « d’éviter qu’il ne se transforme en haine ».
Tous les officiels martèlent ce thème. A commencer par le président Recep Tayyip Erdogan, qui accuse ouvertement Washington de  » nourrir et protéger  » son ancien allié.  » Il n’y a qu’une manière pour l’Amérique de prouver qu’elle n’est pas derrière le putsch : livrer Gülen à la Turquie « , a renchéri Melih Gokcek, le maire AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir) d’Ankara, connu pour son parler cru.
Quelque 85 boîtes de documents censés illustrer les  » crimes  » de l' » organisation terroriste Fethullah Gülen « , comme l’appellent désormais les autorités turques, ont été transmises à la justice américaine en même temps qu’une demande d’extradition.  » Nous sommes en train de les étudier « , a commenté un porte-parole du département d’Etat. L’administration américaine ne cache pas son embarras.
 » Déni de démocratie «Â
 » Il est bien connu que le système judiciaire turc n’est pas indépendant, et ce mandat d’arrêt est un nouvel exemple de l’autoritarisme et du déni de démocratie du président turc « , a réagi Fethullah Gülen dans un communiqué, clamant une nouvelle fois n’avoir rien à voir avec ce coup d’Etat qu’il condamne.  » Nous n’avons pas vu la moindre preuve directe ou indirecte qui résisterait de manière convaincante à un examen des faits « , a assuré son avocat, Reid Weingarten.
Au-delà du destin personnel du hoca effendi ( » respecté maître « ), ce qui se joue dans ce bras de fer est l’avenir de son mouvement. Laminée en Turquie avant même la répression qui a suivi le putsch raté, la nébuleuse  » güléniste « , avec son réseau d’écoles, d’associations et de médias, reste toute-puissante, basée dans quelque 150 pays, notamment en Asie centrale mais aussi en Afrique. Aux Etats-Unis, elle compte ainsi 130 établissements scolaires.
Sous la pression des autorités d’Ankara, certains Etats, comme l’Azerbaïdjan, ont déjà pris des mesures contre les établissements gülénistes, mais beaucoup d’autres s’y refusent.  » Si la procédure devant la justice américaine reconnaît, même seulement en partie, la réalité des accusations portées par Ankara, les conséquences pour le mouvement seront cataclysmiques « , analyse un universitaire bon connaisseur du mouvement güléniste.
♦