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Par Culturebox (avec AFP) , le 27/02/2016
Soria Zeroual, Zita Hanrot et Philippe Faucon sur la scène du Châtelet le 26 février 2016 © Patrick Kovarik / AFP
« Fatima », César du meilleur film, et le franco-turc « Mustang », deux oeuvres placées sous le signe de la diversité, ont été largement récompensés vendredi à la 41e cérémonie des César.
« Fatima » de Philippe Faucon, portrait touchant d’une femme de ménage algérienne qui élève seule ses deux filles, a reçu trois prix, dont le prestigieux trophée du meilleur film. Il a aussi obtenu les César du meilleur espoir féminin pour Zita Hanrot, et celui de la meilleure adaptation. « J’ose à peine croire que je suis là maintenant. Je dois énormément aux trois magnifiques interprètes de Fatima », a déclaré Philippe Faucon. « Je salue très bas Loubna Abidar (persécutée au Maroc pour son rôle dans ‘Much Loved’) qui ne joue pas dans ‘Fatima’ mais à qui je rend hommage », a-t-il ajouté.
« Le palmarès met à l’honneur l’acuité et la diversité de notre cinéma »
Autre grand favori de cette soirée plus rythmée qu’à l’accoutumée, « Mustang » de la Franco-Turque Deniz Gamze Ergüven, histoire de cinq sœurs adolescentes que l’on veut marier de force dans un village de Turquie, a reçu quatre trophées. Cette ode à la liberté, qui représentera la France aux Oscars dimanche soir, a obtenu le César du meilleur premier film, du meilleur scénario, du meilleur montage et de la meilleure musique. « C’est un immense honneur », a déclaré Deniz Gamze Ergüven. « Le cinéma français dans toute sa diversité regarde le monde avec les yeux grands ouverts comme l’a montré la 41e cérémonie des César. Le palmarès met à l’honneur l’acuité et la diversité de notre cinéma », a commenté la nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay, présente au Châtelet.
Un large éventail de films récompensés
« Marguerite » de Xavier Giannoli, portrait d’une diva à la voix de casserole, est l’un des autres gagnants de la soirée. Il a remporté quatre prix, dont celui de la meilleure actrice pour Catherine Frot, et ceux du meilleur costume, meilleur décor et meilleur son.
Le César du meilleur acteur est revenu à Vincent Lindon, grand favori, pour son personnage de chômeur humilié dans « La loi du marché » de Stéphane Brizé, qui lui avait déjà valu le prix d’interprétation à Cannes en 2015. « Je suis extrêmement touché que vous me remettiez ce prix ce soir. J’essaie de prendre conscience de ce que c’est de vous voir d’ici (depuis la scène du Châtelet). C’est la première fois », a-t-il dit, en recevant son premier César.
Un large éventail de films ont été récompensés au cours de cette soirée, qui a aussi sacré Arnaud Desplechin meilleur réalisateur pour « Trois souvenirs de ma jeunesse ». Deux acteurs de « La Tête haute », le jeune Rod Paradot, meilleur espoir masculin, et Benoît Magimel, meilleur second rôle masculin, ont également été primés, tandis que l’actrice de « L’Hermine » Sidse Babett Knudsen a reçu le César du meilleur second rôle féminin.
Une Palme d’or qui repart bredouille
Le film « Birdman » du Mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, comédie noire aux accents fantastiques avec Michael Keaton a obtenu le César du meilleur film étranger. « Le Petit Prince » de Mark Osborne, adaptation du célèbre conte de Saint-Exupéry, a remporté le prix du meilleur film d’animation, et « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent celui du meilleur documentaire.
La Palme d’or du dernier Festival de Cannes, « Dheepan » de Jacques Audiard, est quant à elle repartie bredouille. Pour la seconde fois de sa carrière, un César d’honneur a été remis à l’acteur américain Michael Douglas, 71 ans, qui a remercié d’un sonore « Vive la France », dans un discours entièrement en français.
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Télérama, le 23/10/2015
Frédéric Strauss
Les comédiennes du film Mustang :Doga Zeynep Doguslu, Günes Nezihe Sensoy, Ilayda Akdogan, Elit Iscan et Tugba Sunguroglu entourent la réalisatrice Deniz Gamze Ergüvan devant la salle Beyoglu Sinemasi.
En France, le film de Deniz Gamze Ergüven sort en vidéo. Mais l’événement, c’est au même moment son arrivée dans les salles turques. Récit d’une campagne de promotion épique à Istanbul.
Très attendu, un peu redouté, le grand moment est arrivé. Dans un tour du monde commencé à Cannes au grand galop, Mustang aborde une étape essentielle, la Turquie. Un retour aux sources pour la réalisatrice, Deniz Gamze Ergüven, qui a grandi à Ankara et accompagne aujourd’hui son film à Istanbul, où a été organisée la promotion, coup d’envoi de la sortie dans les salles.
Un événement limité aux proportions modestes d’un petit circuit d’art et essai, typique de ce que peuvent espérer ici la plupart des films français, qui se battent pour atteindre 3% des entrées, quand les films turcs, souvent aussi forts et commerciaux que les incontournables américains, captent allègrement 50% des spectateurs. Mais l’enjeu de cette sortie dépasse les habituelles équations du box-office. C’est une rencontre qui est espérée. Une rencontre avec la Turquie.
« On sent que tout s’est dégradé »
Deniz Gamze Ergüven convoque si passionnément son pays dans Mustang. Elle lui a donné l’énergie, la beauté et la colère des personnages qu’elle met en scène, ces désormais fameuses cinq sœurs orphelines qui, sur les bords de la mer Noire, s’affrontent aux traditions, aux interdits, en vivant de la façon la plus douloureuse mais aussi la plus émotionnelle et la plus intense qui soit leur identité turque.
Pour l’arrivée de Mustang, chacun espère que la Turquie soit au rendez- vous… Les circonstances, assurément, ne sont pas des plus favorables. L’actualité est tragique, et tendue : après l’attentat sanglant commis à Ankara le 10 octobre et avant les nouvelles élections législatives du 1er novembre, la peur de la déstabilisation exacerbe les conflits comme la lutte pour le pouvoir. Comme pour amplifier cette tension, il tombe en plus sur Istanbul une pluie chagrine, qui finit par donner quelque chose d’emblématique à l’horizon sombre et bouché. On l’oublierait facilement sous le parapluie de Deniz Gamze Ergüven, tant cette grande jeune femme est rayonnante et pleine d’allant.
Mais elle aussi, s’assombrit quand elle parle de la Turquie : « Je me souviens avoir eu un jour une discussion politique très contradictoire et très animée avec un chauffeur de taxi à Istanbul, mais je n’ai plus ce courage aujourd’hui. On sent que tout s’est dégradé, les gens ne peuvent plus se parler. L’intimidation permanente a marché et la situation globale est de toute façon devenue très compliquée ».
Entre deux pays
En terre familière, mais pas en terrain conquis, la réalisatrice aborde cette sortie comme un changement de décor un peu brutal après la marche triomphale de son film, fêté partout. Le producteur français, Charles Gillibert, a fait le voyage lui aussi et peut témoigner de la belle histoire d’amour entre Mustang et le public français (plus de 500 000 entrées) et même d’un formidable engouement en Israël. Le coproducteur allemand, Frank Henschke, raconte que le film a reçu, au festival de Hambourg, le prix des exploitants de salles : « Et on parle bien de l’Allemagne, un pays où les directeurs de salles ne croient plus aux films d’art et essai ! ».
Le producteur Charles Gillibert et Deniz Gamze Ergüvan, encadrés par les membres du groupe turc Baba Zula, dont une chanson est utilisée dans Mustang.
Mustang franchit donc tous les obstacles et crée une dynamique imparable. Mais, en Turquie, le film pourrait tout simplement « passer sous le radar », comme dit Deniz Gamze Ergüven, et être ignoré. Même pas scandaleux. « La Turquie est conservatrice, mais les Turcs qui vont au cinéma le sont moins », note, philosophe, le distributeur du film, pas décidé à jouer la carte de la polémique. Ça serait peut-être aussi bien que ce portrait de filles rebelles ne fasse pas de vagues…
Heureusement, la France a choisi Mustang pour la représenter dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger. Et ce choix n’est pas passé inaperçu en Turquie. Car le film, majoritairement français par son financement, remplissait aussi, sous d’autres aspects (lieux de tournage, langue parlée), les conditions pour être le candidat turc au même Oscar… La Turquie annonçant son choix une semaine avant la France, tout était possible. Mais c’est un autre film qui a été désigné (Sivas, primé au festival de Venise en 2014, l’histoire d’un petit garçon et de son gros chien).
L’affaire, qui aurait pu s’arrêter là, a donc rebondi quand le cheval donné perdant en Turquie est sorti gagnant en France. Dès lors, la curiosité pour ce Mustang est devenue très grande en Turquie. Et l’on entend déjà dire à Istanbul que si le film va jusqu’au bout et décroche bel et bien l’Oscar, alors là, oui, ça sera un événement pour le pays. Et si le film n’obtient rien, ça fera un perdant français…
Les peintres orientalistes
On le comprend, entre envie de s’en emparer et envie de s’en défaire, la Turquie semble hésiter sur l’attitude à avoir avec le fougueux Mustang. Ce qui ne surprend pas le producteur Charles Gillibert : « S’emparer de ce film construit entre deux cultures est plus simple pour la France, qui inscrit sa propre culture dans une vision universelle, que pour la Turquie, où la culture représente, comme dans beaucoup d’autres pays, l’identité nationale. Le fait que certains éléments de Mustang ne soient pas turcs peut soulever ici une forme de suspicion ».
Deniz Gamze Ergüven en fait l’expérience, en première ligne. Son regard, ont jugé certains journalistes turcs, serait comparable à celui de nos peintres orientalistes, qui montraient des pays lointains sans forcément en connaître la réalité. Cette façon de lui attribuer un point de vue étranger donne à la réalisatrice un sentiment de déjà-vu : « C’est l’éternel problème de ce que je ne suis pas, et ça commence à m’énerver un peu ! En France, je ne suis pas française et en Turquie, je ne suis pas turque ».
Pour l’heure, cette diplômée de la Fémis est l’invitée de l’Institut Français d’Istanbul, où ses jeunes actrices sont venues aussi, après l’école ou les cours, comme en récréation. On les entend rire, on les voit jouer alors qu’elles ne sont plus tout à fait des enfants, et leurs présences rappellent la part fantasque de Mustang, où l’imaginaire et les effets de cinéma ont une belle part. Ce mélange de réalité et de fiction, Deniz Gamze Ergüven va en reparler après la projection, et à bien d’autres occasions encore, pour éclairer son point de vue. Qui n’est pas toujours si difficile à comprendre pour les journalistes qu’elle rencontre.
Le critique de cinéma Fatih Özgüven se dit, lui, très convaincu : « Mustang représente quelque chose de nouveau dans le cinéma turc, ne serait-ce que par sa mise en scène assez électrifiante et son récit rapide. Le rythme est très différent de ce qu’on voit habituellement. Et le film montre aussi, à travers ses personnages, un refus de se plier aux façons de faire, aux façons de vivre, une volonté de sortir de l’ordre établi ». L’envoyé de Medyascope TV, Emrah Kolukisa, s’enthousiasme à son tour : « La réalisatrice a une vision très vive de la société. Le fait qu’elle parle de la place des femmes et du conservatisme en Turquie est bien sûr très intéressant, car ce sont deux sujets très politiques ».
Politique, le débat ne le sera pas ce soir-là. Parce que le film laisse une possibilité d’éviter les sujets qui fâchent, comme le souligne avec satisfaction la coproductrice turque, l’étonnante Mine Vargi, qui fut Miss Istanbul 1968 en même temps que la maman de Deniz Gamze Ergüven. « Le cheval sauvage, le mustang, c’est Deniz, dit-elle. Mais, sans intervenir sur son scénario, on lui a donné quelques idées pour faire passer ce qu’elle voulait dire sans brusquer les spectateurs. Les filles qu’elles met en scène sont révoltées, mais elles ne font pas peur aux gens, elles sont simplement surexcitées, elles sont dans l’élan de la jeunesse et ça, c’est quelque chose de très beau ».
La « sauvage » Deniz a son point de vue sur la question politique. « Il y a eu un moment, pendant la production du film, où, pour obtenir une aide du ministère turc de la Culture, nous avons retiré du scénario des éléments qui auraient conduit à une censure. Il y avait alors un peu l’idée que Mustang serait un cheval de Troie permettant de faire passer un regard critique sur la Turquie. Mais les choses sont maintenant beaucoup plus claires : Mustang n’est pas un cheval de Troie, le film est clairement politique. Infiniment politique ».
Certains médias parlent d’ailleurs du « film de la génération Gezi », du nom du parc d’où partirent les émeutes protestataires de 2013, qui firent vaciller le président Erdogan. Deniz Gamze Ergüven peut les raconter en détails, pour y avoir pris part. Son engagement, elle ne le cache pas. Mais, juste avant une nouvelle projection, qui a lieu cette fois dans une salle d’Istanbul, elle s’avoue « au bord de la crise cardiaque ». Une grande partie de l’équipe est là. Mais aussi des gens du village où le film fut tourné, et les premiers spectateurs curieux de découvrir le film. Présente dans la salle pour regarder la première partie du film, Deniz Gamze Ergüven racontera ensuite avoir redouté des réactions en réentendant « les mots dérangeants qu’emploient les filles entre elles ». Comme elle nous confiait, après ses premières interviews, craindre un retour de bâton : « Je sens quelque chose comme “Vous êtes jeune, vous avez du succès, vous allez vous prendre une rouste”».
Un langage commun
L’alerte est passée. Deniz Gamze Ergüven finira cette soirée heureuse et soulagée. Car la rencontre entre Mustang et le public turc a bien eu lieu. Chacun semblait vouloir s’emparer du film pour parler de la société, de la place des femmes, dont certaines disaient se reconnaître à l’écran. Et même si une autre regrettait l’importance trop grande, estimait-elle, donnée à la sexualité, tout le monde parlait un langage commun. En provoquant, comme le dit Deniz Gamze Ergüven, « des réactions de toutes les couleurs », Mustang a libéré la parole, le temps d’un débat vif et généreux, spontané, qui confirmait ainsi sa dimension « clairement politique », ancrée dans la réalité turque.
« J’ai pu finalement articuler quelque chose de nouveau sur ma place ici, moi qui suis toujours considérée comme étant dehors-dedans, sourit la cinéaste. Je ne voulais plus me sentir obligée de me justifier en parlant de l’histoire de ma famille entre deux pays, en racontant des choses trop intimes. Alors, j’ai dit : oui, mon point de vue est différent, parce que c’est la première fois que je m’adresse à vous à travers le langage du cinéma. C’est quelque chose de très singulier, qui n’est ni français, ni turc : c’est mon regard sur le monde ».
Remerciements à Christophe Pecot, attaché audiovisuel de l’Ambassade de France en Turquie, et à Hakan Meral, traducteur.
Pour voir les articles annexes :
http://www.telerama.fr/cinema/mustang-en-turquie-l-histoire-d-une-sortie-electrique,133194.php
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Le Monde, le 23.09.2015
Par Isabelle Regnier
La réalisatrice Deniz Gamze Ergüven (troisième en partant de la droite), entourée des actrices de « Mustang », le 20 mai 2015, au Festival de Cannes.
On donnait Dheepan, la Palme d’or, gagnant. C’est Mustang, l’outsider, qui a décroché la timbale. Lancé en mai à la Quinzaine des réalisateurs, sorti le 17 juin dans les salles hexagonales, où il a rassemblé 450 000 spectateurs, vendu depuis un peu partout dans le monde, le premier long-métrage de la Franco-Turque Deniz Gamze Ergüven représentera la France dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger.
Avec ses actrices ultrasexy, son image laiteuse, son rythme trépidant, et son histoire qui confronte cinq jeunes filles délurées aux puissances rétrogrades du patriarcat turc, il a certainement de quoi plaire à un public occidental.
Tourné en turc et en Turquie
En Turquie, où la réalisatrice et son producteur Charles Gillibert pensaient initialement le présenter, c’est autre chose. Selon celui-ci, son propos contrarierait les autorités : « Il y a des allusions à l’actualité politique turque dans le film, en particulier, jugées inacceptables. » Mais Mustang compte aussi des adversaires dans les milieux artistiques et intellectuels turcs. Critique free-lance et militante féministe, Alin Tasciyan, par exemple, ne cache pas le malaise qu’il lui a procuré : « C’est un film dépourvu d’authenticité, soutient-elle, qui exploite opportunément des éléments orientalistes. »
Lorsqu’il a compris que son film n’était plus dans la course – c’est Sivas, de Kaan Mujdeci, prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 2014, qui a été choisi pour la Turquie –, le producteur s’est replié sur la France.
Le 16 septembre, la commission chargée de désigner le représentant français pour les Oscars – qui réunit cette année Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, Jean-Paul Salomé, président d’Unifrance, Alain Terzian, président de l’académie des Césars, Serge Toubiana, président de la commission d’avance sur recettes, le réalisateur Michel Hazanavicius et les actrices Nathalie Baye et Mélanie Laurent – a annoncé que ce film intégralement tourné en turc, et en Turquie, figurait, aux côtés de Dheepan, de Jacques Audiard, de La Belle Saison, de Catherine Corsini, de Marguerite, de Xavier Giannoli, et de La Loi du marché, de Stéphane Brizé, parmi les cinq finalistes.
Véhiculer « les valeurs de la France »
Attribuant sa défaite à un acte de censure déguisé (hypothèse difficile à vérifier, les membres de la commission turque ayant interdiction de s’exprimer sur les débats, sauf pour dire que la candidature du film a bien été étudiée), Charles Gillibert en a fait, devant le jury français, un argument politique. Il a axé son discours sur « les valeurs que la France veut véhiculer, celle d’une terre d’accueil favorable à la liberté d’expression », dont Mustang pourrait être l’étendard. Le producteur a ajouté que la langue turque pourrait être un argument en faveur du rayonnement du cinéma français, ou encore que les bénéfices d’une sélection rejailliraient sur la réputation de La Fémis, où se sont rencontrées Deniz Gamze Ergüven et sa coscénariste, Alice Winocour.
Avec Grégoire Melin, le vendeur international du film, surtout, il a insisté sur leurs chances d’emporter l’Oscar : « Mustang obtient des prix partout, des “standings ovations” à Toronto, il est soutenu par un excellent distributeur américain, entouré des meilleurs attachés de presse… Les studios considèrent Deniz comme une grande réalisatrice, les agents se l’arrachent. Elle a reçu des propositions de films à gros casting de la part d’Universal, de la Fox, de la Warner… » Parmi ses concurrents, Mustang affrontera d’autres films au pedigree hybride : Le Dernier Loup, du Français Jean-Jacques Annaud, représentera la Chine, tandis que l’Irlande défendra Viva, entièrement tourné en espagnol, à Cuba.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/09/22/mustang-representera-la-france-aux-oscars_4767377_3476.html#ibhVvgxL9P6FHd90.99
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RFI, le 17/06/2015
Par Sophie Torlotin
«Mustang», un film de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven. Ad Vitam
Ce premier film turc qui sort ce mercredi 17 juin sur les écrans en France a été ovationné à la Quinzaine des réalisateurs lors du festival de Cannes. Dans Mustang, la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven raconte l’histoire de cinq sœurs drôles et effrontées, à l’âge de la puberté, qui vivent dans un village au bord de la mer en Turquie.
Cinq sœurs plus ravissantes les unes que les autres vont voir leur vie basculer après un jeu apparemment anodin avec des copains de classe. Cloitrées, séquestrées par leur grand-mère et leur oncle, obligées de se marier, elles se rebellent ou se soumettent. Même si ce premier film a des allures de conte de fées cruel, la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven a voulu l’ancrer dans la Turquie actuelle, et dénoncer le retour au conservatisme.
« Les filles sont comme un corps à cinq têtes, elles sont très belles, elles ont cette espèce de chevelure et visuellement cela générait la petite Hydra dont on a vraiment l’impression d’un personnage à cinq têtes. Moi, dans le film, je le vois comme une espèce de corps à cinq têtes où l’on voit tous les destins possibles d’un même personnage. Après, c’est comme si ce personnage à cinq têtes perdait un bras ou une jambe. La victoire finale – sans en parler – sera un peu doux amère, parce qu’on est conscient de tout ce qu’on a perdu en route. »
Ces cinq filles, belles et rebelles, occupent avec force l’écran et la scène. A 36 ans, Deniz Gamze Ergüven aussi marque les esprits avec ce premier film incandescent.
Le Monde, le 29/06/2020
SÉLECTION
En attendant des jours meilleurs, il est possible de découvrir le monde sans quitter sa chambre. À cheval entre Orient et Occident, héritages byzantin et ottoman, la ville millénaire turque offre une parenthèse captivante.
La place Sultanahmet, où se tutoient les six minarets de la Mosquée bleue et la basilique Sainte-Sophie, les trois ponts du Bosphore, la tour de Léandre, l’estuaire de la Corne d’or, les îles des Princes… Même déserte, Istanbul rayonne. On peut s’en émerveiller à distance grâce à Panorama Istanbul, lancé en mai par la mairie, pile au début du confinement turc. Avec des webcams placées à 28 endroits différents et de multiples photos à 360°, ce site permet de survoler la cité en temps réel de long en large, aux côtés des mouettes.
panorama.istanbul
Redécouvrir un amour mythique
Coll. Jonas/Karbine-Tapabor
En 1877, Pierre Loti, alors officier de la marine en mission à Istanbul, tombe amoureux d’Aziyadé, prisonnière d’un harem. Dix ans plus tard, il revient dans une ville qu’il ne reconnaît plus, à sa recherche. Mais d’elle ne reste plus qu’un tombeau. Cette histoire, l’écrivain la raconte dans Aziyadé et Fantôme d’Orient, deux récits réunis par Florient Azoulay et Xavier Gallais dans la pièce Le Fantôme d’Aziyadé. Un succès du dernier Festival « off » d’Avignon que l’on retrouve dans une version radiophonique, où le murmure de Xavier Gallais nous transporte en Orient, dans les pensées d’un homme seul. Une expérience intime bienvenue en cette période de restriction des théâtres.
« Le Fantôme d’Aziyadé », de Pierre Loti, cinq épisodes à écouter sur France culture.
Déguster un raki
Jean Daniel Sudres/Voyage Gourmand
Avec ses 45 degrés d’alcool, cette boisson à l’anis appelée « lait du lion » serait réservée aux plus robustes. Obtenu à partir de la distillation du raisin et aromatisé aux graines d’anis vert, le raki est indissociable de l’identité stambouliote. Sous l’Empire ottoman, on le consomme dans les meyhaneler, ces tavernes tenues par des Grecs et des Arméniens. Dans les restaurants d’aujourd’hui, le raki accompagne mezze et grillades. Pour le déguster, verser un tiers de raki et deux tiers d’eau très fraîche dans un verre haut transparent, en évitant les glaçons pour ne pas fausser le mélange. Les lions téméraires peuvent le tenter « sek ».
Tromper le mauvais œil
Sur une layette de nouveau-né, une robe de mariée, la dérive des avions, partout en Turquie, le nazar boncugu est apposé pour protéger du nazar (ce regard envieux responsable des pires malheurs). L’origine de cet œil bleu sur fond blanc et jaune remonterait à l’Antiquité égyptienne et à la légende d’Horus, le dieu à tête de faucon, fils d’Osiris. Arraché par Seth, brisé en six morceaux, il est devenu un symbole de protection pour les vivants et les morts. Le nazar boncugu tel qu’on le connaît coïncide surtout avec le développement d’un artisanat en verre dans les régions égéennes et méditerranéennes en 1500 av. J.-C.
Plonger dans une œuvre obscure
En 1933, Georges Simenon se rend à Istanbul pour interviewer Léon Trotski en exil. De ce séjour, le créateur de l’inspecteur Maigret tirera un récit à part : Les Clients d’Avrenos. À travers l’histoire de Bernard de Jonsac, interprète de l’ambassade de France épris d’une entraîneuse hongroise de 18 ans décidée à ne plus jamais connaître la misère, Simenon montre un versant âpre d’Istanbul dans les années 1930. Ce monde voué à disparaître avec la nouvelle république vit ses derniers instants en se grisant de haschisch et de raki dans des villas du Bosphore. Une immersion littéraire dans une ville moite que l’on ne quitte jamais.
Les clients d’Avrenos, de Georges Simenon, Folio, 191 p., 7,50 €.
Regarder un drame entre deux rives
Un veuf turc esseulé de Brême, une prostituée qui accepte de vivre avec lui à condition d’être payée, sa fille recherchée par la police d’Istanbul pour ses activités militantes… D’autres destins se croisent, se ratent et se réconcilient dans De l’autre côté. Après son Ours d’or à Berlin pour Head On en 2004, Fatih Akin reçoit en 2007 le Prix du scénario au Festival de Cannes pour cette œuvre tragique qui ne tombe jamais dans le sentimentalisme. Né en Allemagne de parents turcs, le réalisateur explore dans ce film choral ses thèmes de toujours : l’intégration, l’identité et la famille. En 2017, In the Fade, son avant-dernier long-métrage, à nouveau en compétition à Cannes, vaudra à Diane Kruger le Prix d’interprétation féminine.
De l’autre côté, de Fatih Akin, disponible en VOD, 2,99 € sur universcine.com
Planer sur du rock anatolien
Prod DB/Corazon International-NDR-Intervista digital media
Depuis plus de vingt ans, Baba Zula fait chanter en turc des salles européennes bondées. La musique du groupe, mix de folklore, de dub et de rock psychédélique, fusionne deux mondes comme le fait Istanbul, sa ville d’origine. Si ses mélodies créatives obtenues avec un savant mélange d’instruments (cuillère en bois, darbouka, saz, oud électrique…) font danser les foules, Baba Zula s’illustre aussi au cinéma dans les bandes originales du documentaire de Fatih Akin Crossing the Bridge – The Sound of Istanbul, consacré aux scènes musicales de la ville, ou Mustang, de Deniz Gamze Ergüven. Une compilation justement baptisée XX célèbre les vingt ans du groupe.
XX, de Baba zula, Glitterbeat records.
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Ouest-France, le 06/04/2019
Du 1er avril au 29 juin, les médiathèques de l’agglomération de Concarneau (Finistère) vivront à l’heure turque. Des spectacles, conférences et ateliers permettront de mieux découvrir le pays.
L’idée d’organiser une série d’expositions, rencontres, conférences et spectacle sur la Turquie est née dans la commune d’Elliant (Finistère), qui accueille la jeune Turque Duygu Bal, volontaire du Corps européen de solidarité, qui permet de s’engager dans des missions d’intérêt général.
Du 2 avril au 1er juin, la médiathèque affichera une exposition des photographes Gaël Le Ny et François Legeait, qui retracera la vie d’un quartier kurde. Elle sera complétée par une rencontre, le 27 avril, à 15 h, au Pôle culturel.
De l’empire Ottoman au président Erdogan
Deux conférences permettront de mieux cerner la Turquie. « Les Turquie d’Edogan, avec ou sans l’Europe ? » est le sujet de la première, qui aura lieu le 18 mai, à 15 h, à la médiathèque. Le 8 avril, à 14 h 30, dans l’enceinte du Cac, Arlette Roudaut évoquera la fin de l’empire Ottoman, en 1923. La médiathèque de Pont-Aven accueillera, le 5 avril, à 17 h, une rencontre avec Ali Dere, président de l’association culturelle turque de Quimper.
« Mustang », le film aux quatre Césars
À Elliant, à la médiathèque, place à la découverte de la langue turque, le 6 avril, à 10 h 30. Des projections de films auront aussi lieu à la médiathèque d’Elliant : le film aux quatre César Mustang sera diffusé le 19 avril, à 20 h 30. Crossing the Bridge : sound of Istanbul passera le 26 avril, à 20 h 30.
Une série de spectacles est prévue le 29 juin, à 18 h, à la médiathèque de Névez. Huit musiciens de l’orchestre national de Penhars feront voyager le public, lors d’un concert suivi d’une dégustation de spécialités turques. Le 26 avril, entre 12 h et 13 h, à la médiathèque de Concarneau, Virginie Hue et la compagnie Flaments proposeront des saynètes sur le protagoniste farceur Nasr Eddin. Il est conseillé d’apporter son repas. Une lecture musicale sera animée par le comédien Jean-Pierre Gaillard et Stern Guern, joueur d’oud, le 28 juin, à 18 h, au bar Los Amigos.
Les enfants aborderont la naissance instrumentale en compagnie de Gwen le Doré, le 11 avril, à 14 h 30, à l’espace Le Mélénick, à Elliant. Le 15 juin, à 16 h, à la médiathèque de Névez, Julie Benoît contera Graine de Grenade, L’eau de la fontaine qui chante.
Le Telegramme, le 04 avril 2019
Duigou Bal, jeune turque actuellement en Service Volontaire Européen (SVE) à Elliant est intégrée aux services jeunesse où elle intervient au centre de loisirs, à l’accueil périscolaire, l’espace jeunes mais aussi dans les écoles et auprès de la médiathèque. Elle a concocté tout un programme pour animer les médiathèques de CCA, depuis le 1er avril et jusqu’au 29 juin, afin de faire connaître son pays et de partager sa culture. Au programme : expositions, contes, projections, spectacles…
La première animation a eu lieu mardi, avec une séance BB lecteur bilingue, à deux voix, mélangeant petites histoires et chansonnettes mimées par Duigou et Muriel. La prochaine séance aura lieu samedi, à partir de 10 h 30. Il s’agira d’un atelier d’initiation à la langue turque. Dans le même temps, deux expositions se partageront l’affiche à la médiathèque : l’une présentant des objets d’artisanat et des photographies de la collection personnelle de Duygu Bal et d’un club concarnois « À vue d’œil » (jusqu’au 1er juin) et la seconde (du 6 au 10 avril) présentera des « Instruments de musique du monde », prêtés par Gwenn Le Doré, issus de ses voyages à travers le monde : le M’gagnana, les kesh kesh, le Lla’lla, les doundouns, le gopiyantra.
En parallèle, deux animations seront proposées : la rencontre avec les photographes le vendredi 12 avril, à 18 h, et un spectacle de Gwen Le Doré, conteur et percussionniste, le jeudi 11 avril, à 14 h 30, à la salle Le Mélénick (à partir de 3 ans, sur réservations). L’artiste embarquera le public à travers un voyage musical dans l’Ouest africain, en Turquie, en Chine et en Indonésie… De plus, plusieurs films seront projetés comme « Mustang », réalisé par Deniz Gamze Erguven le vendredi 19 avril, à 20 h 30, et « Crossing the bridge : sound of Istanbul », un documentaire de Fatih Akin diffusé le vendredi 26 avril, à 20 h 30. Et enfin, pour les plus jeunes, une séance Cinémômes, avec un film issu des collections de la médiathèque, est programmée le mardi 16 avril, à 14 h 30 tandis qu’une séance de contes turcs sera proposée le mercredi 24 avril, à 14 h 30.
Ouest-France, le 01/04/2019
Du 1er avril au 29 juin 2019, la médiathèque d’Elliant (Finistère) se met à l’heure de la Turquie, avec de nombreuses animations pour mieux découvrir ce pays et sa culture.
Au printemps, le réseau des médiathèques de Concarneau Cornouaille agglomération (CCA) met en avant ce pays du Moyen-Orient, sous toutes les formes : expositions, conférences, rencontres, projections, spectacles… Pendant trois mois, le public pourra découvrir, apprendre et même savourer la culture turque. Un rendez-vous accessible aux plus grands comme aux plus petits.
Ce projet est parti de la commune, à l’automne, avec l’arrivée de Duygu Bal, une jeune Turque en service volontaire européen pour un an.
Une exposition
Des objets d’artisanat et de photographies de la collection personnelle de Duygu Bal, seront exposés. Complétés par des photographies issues du club concarnois À vue d’œil. À découvrir du 1er avril au 1er juin à la médiathèque. Rencontre avec les photographes vendredi 12 avril, à 18 h.
Instruments de musique du monde
Les instruments de Gwenn Le Doré sont issus de ses voyages dans le monde. Le public retrouvera des instruments tels que le M’gagnana, les Kesh kesh, le Lla’lla, les doundouns, le gopiyantra. Du 6 au 10 avril, à la médiathèque.
Gwen Le Doré sera présent le jeudi 11 avril, à 14 h 30, à la salle Le Mélénick (à partir de 3 ans, sur réservation) pour raconter la naissance d’instruments du monde. Un voyage musical dans l’ouest africain, en Turquie, en Chine et en Indonésie…
Cinéma et contes
Plusieurs films turcs ou sur la Turquie seront projetés à la médiathèque, durant le mois d’avril
Mustang, réalisé par Deniz Gamze Erguven, vendredi 19 avril, à 20 h 30
Crossing the bridge : sound of Istanbul, film documentaire de Fatih Akin, vendredi 26 avril, à 20 h 30,
Cinémômes est un rendez-vous cinéma pour le jeune public, avec un film issu des collections de la médiathèque, mardi 16 avril, à 14 h 30
Contes turcs, mercredi 24 avril, à 14 h 30.
Découverte de la langue turque avec Duygu Bal, samedi 6 avril à 10 h 30.
Bébés lecteurs
L’atelier mensuel des bébés sera également sur le thème de la Turquie, mardi 2 avril, à 9 h 30.
Le Figaro Madame, le 18/05/2018
Par Océane Ciuni
Rencontre avec Deniz Gamze Ergüven
Les femmes sont en marche au Festival de Cannes et ailleurs. Qui de mieux que l’inspirante réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven pour en discuter.
Deniz Gamze Ergüven tout de vert vêtue, se prépare dans la suite Chanel, numéro 550 du Majestic. À son arrivée, le temps semble comme suspendu, sa présence imposant une trêve salutaire dans la frénésie cannoise. Elle choisit des boucles d’oreilles, nous commençons la discussion. La réalisatrice du célèbre Mustang, quatre César, une nomination aux Oscars, n’abandonne jamais ses combats. Sa délicatesse n’a d’égal que sa pugnacité et nous sentons chez elle une pointe d’espièglerie devant l’idée qu’une révolution est en marche. Ses films, qui raisonnent comme des témoignages d’époque, de femme, d’être humain, s’inscrivent dans une actualité déroutante. Rencontre.
Lefigaro.fr/madame. – Quelle est la raison de votre présence à Cannes cette année ?
Deniz Gamze Ergüven. – À l’origine, j’ai reçu une invitation du Festival pour la soirée Kering et tous les événements autour des mouvements de femmes qui ont eu lieu cette année. C’est aussi le centre névralgique où se réunit tout le monde une fois par an. Mon milieu professionnel qui s’étire entre les États-Unis, la France et même ailleurs, se retrouve là.
Est-ce que vous avez été touchée par la montée des marches des 82 femmes ?
Il y a une espèce de lame de fond qui commence à se faire sentir depuis quelques années sur la place des femmes dans le cinéma. Je me souviens en 2011, quand il y avait quatre films de femmes, les propos qui étaient tenus étaient aberrants. Enfin, je trouve que l’on commence vaguement à réfléchir et se dire qu’il y a des écarts abyssaux entre la place des femmes et celle des hommes dans le cinéma. Les choses changent tout doucement. On sent aussi une espèce de grondement, c’est une veille de révolution. Il va se passer des choses.
Avez-vous toujours autant d’émotion lorsque vous venez à Cannes ?
J’ai une affection particulière pour le festival. C’est la première fois que je reviens depuis Mustang et je trouve cela touchant. J’ai un pincement au cœur quand je passe devant la Quinzaine et devant tous les endroits où j’ai été avec les actrices du film. Dans le même temps, je me sens complètement chez moi, c’est ce qui est étonnant.
Pouvez-vous nous parler de Kings, sorti en avril dernier ?
C’est encore une histoire de justice et de la place de certaines personnes dans notre société.
La figure maternelle dans le film est-elle inspirée de votre histoire ?
Pour ce qui est de la figure maternelle, à l’époque où j’écrivais Kings, c’était la bohème et j’attendais de tenir un peu sur mes pieds pour avoir des enfants. Je pense que j’en avais très envie. Les scènes ou Millie (Halle Berry), embrasse des pieds d’enfants, étaient nourries par des envies personnelles.
Que diriez-vous à la petite fille que vous étiez ?
C’est assez bizarre mais avoir été petite fille est l’une des meilleures choses du monde. Je ne sais pas si c’est identique pour les garçons, mais il y a un côté magique de l’imaginaire, du jeu, de la découverte de tout, du monde, du corps. C’était une période assez géniale.
Votre dernière première fois ?
J’ai une vie qui se déroule dans un circuit assez fermé entre plusieurs pays qui sont tout le temps les mêmes. Donc je dirai mon voyage au Japon, ma dernière première découverte.
En vidéo, 19 réalisatrices contre le sexisme, le témoignage de Deniz Gamze Ergüven
En association avec Kering et leur programme «Women in Motion», Madame Figaro soutient le combat des femmes cinéastes contre les inégalités.
Le Monde, le 06/04/2018
M LE MAGAZINE DU MONDE
Par Vanessa Schneider
Née en Turquie mais ayant passé sa vie en France, la réalisatrice de « Mustang » a mis des années à obtenir la nationalité française. Un sentiment d’injustice qui résonne dans « Kings », film sur les émeutes de 1992 à Los Angeles. Un projet qu’elle a porté envers et contre tout.
Deniz Gamze Ergüven, le 27 mars, à Paris. LOUIS CANADAS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
Elle est debout, juchée sur un tabouret, dos droit, menton levé, regard franc accroché à l’objectif. Elle a donné rendez-vous dans le club de sport où elle a ses habitudes, et c’est dans le hall, au milieu du va-et-vient des habitués, qu’elle prend la pose pour une séance photo.
Rien ne semble pouvoir distraire Deniz Gamze Ergüven. À 39 ans, la réalisatrice de Mustang (quatre Césars, une sélection aux Oscars), qui sort son second long-métrage, Kings, le 11 avril, est un bloc de détermination. Il suffit de l’entendre raconter la genèse de son nouveau film, qui retrace les déboires d’une Afro-Américaine tentant de tenir sa famille à bout de bras pendant les émeutes de Los Angeles de 1992, pour saisir la pleine mesure de ce que le mot veut dire.
Il y a derrière Kings une passion et un acharnement hors du commun. Un projet germe en 2005 alors qu’elle est encore à La Fémis, des années d’écriture, des mois d’enquête sur le terrain, un rêve grand et fou qui finit par se réaliser dix ans plus tard. Pendant trois années, elle se rend régulièrement à South Central, dans ce quartier pauvre de Los Angeles où ont eu lieu les émeutes, et recueille témoignages et anecdotes à la manière d’une reporter.
Comprendre cet « épisode honteux »
La jeune femme menue et gracieuse partage le quotidien des habitants, se fait accepter par les différents gangs, repère ses personnages, note les détails les plus incongrus, gagne la confiance des policiers du LAPD, tourne des images depuis leurs hélicoptères.
Elle veut comprendre ce qui s’est passé, l’enchaînement terrible des faits : le meurtre, d’une balle dans le dos, d’une ado noire de 15 ans par une épicière d’origine coréenne ; le tabassage filmé d’un homme noir, Rodney King, par quatre policiers blancs déchaînés, le procès de ces derniers, leur acquittement, l’embrasement de cette « ville dans la ville », où les Blancs ne mettent pas les pieds, la rage, les pillages et les meurtres. « Un épisode honteux pour tout le monde », résume la cinéaste.
Le film tel qu’elle l’imagine plan par plan et qu’elle écrit alors est celui qui est présenté aujourd’hui, au détail près. Entre-temps, près de dix ans de mésaventures. Le projet s’enlise, ne convainc pas les différents pourvoyeurs d’aides du cinéma français. Un premier film, en anglais, à gros budget : la débutante n’a pas mis toutes les chances de son côté. « Kings était à contre-courant ; les guichets européens sont faits pour résister au cinéma hollywoodien et, pour les Américains, j’étais un outsider. Ça bloquait de partout », se souvient-elle, de sa voix aussi douce que ses pupilles sont noires.
« ELLE A TOUJOURS SU QU’ELLE ÉTAIT CINÉASTE, MÊME SANS FAIRE DE FILMS. ELLE A CETTE FOI DE L’ARTISTE QUI M’A TOUJOURS IMPRESSIONNÉ. »
CHARLES GILLIBERT, SON PRODUCTEUR
En attendant, elle vit de baby-sittings, de petits boulots alimentaires. « Je pensais à Charles Bukowski, je me disais qu’avoir quatre murs, un plafond et du temps était suffisant ; mais je me trompais, j’avais l’impression d’être à côté de ma vie. » Elle s’accroche, surmonte les moments de doute, les fausses joies et les déceptions : « Il m’était impossible de laisser le film de côté. J’avais l’âge où l’on pense qu’un projet comme celui-là est une question de vie ou de mort. »
« Elle a toujours su qu’elle était cinéaste, même sans faire de films. Elle a cette foi de l’artiste qui m’a toujours impressionné », dit d’elle son producteur Charles Gillibert, qui la suit depuis le début et est finalement parvenu à réunir les financements – 10 millions d’euros, essentiellement français – de Kings. « Beaucoup de gens n’auraient pas tenu la route, mais elle ne lâche rien, ajoute son amie Suzanne Marrot, qui coache les jeunes acteurs de ses films. S’il lui arrive de se décourager, ce n’est jamais longtemps. Elle rebondit, retrouve de la force, ne se laisse jamais anéantir. C’est une lionne. »
Folle campagne pour les Oscars
On lui répète : « Tu n’es pas afro-américaine, ce film ne parle pas de toi. » Elle trouve l’argument absurde (« On ne demande pas à un écrivain de raconter sa vie »), mais se décide néanmoins à tenter quelque chose qui colle davantage à ce que l’on attend d’elle, un film qui se déroule en Turquie, son pays natal, qu’elle écrit avec sa complice de La Fémis Alice Winocour. Ce sera Mustang, le huis clos de cinq sœurs cloîtrées dans une maison dans l’attente qu’on leur choisisse un mari, un récit où se mêle intime et politique, sa marque de fabrique. Le film est sélectionné à Cannes, récompensé aux Césars, choisi pour représenter la France aux Oscars. La consécration.
À HOLLYWOOD, LORSQU’ELLE PARLE DE « KINGS »,
HALLE BERRY ET DANIEL CRAIG S’EMBALLENT.
LE PROJET PEUT ENFIN SE MONTER
Au cours de la folle campagne pour les Oscars à Hollywood, elle rencontre l’actrice Halle Berry. Elle lui parle de Kings, d’autant plus décontractée qu’elle y a enfin renoncé : « Ce film m’avait fait trop de mal. » L’actrice américaine s’emballe, elle veut jouer Millie, l’héroïne, mère dépassée qui recueille des enfants délaissés. Daniel Craig, qui a adoré Mustang, se porte également candidat pour jouer le voisin d’Halle Berry, un Blanc égaré dans le ghetto. Les grandes portes s’ouvrent enfin, le projet peut se monter.
Deniz aime Mustang, mais considère Kings comme son premier film. « Ils sont arrivés dans le désordre. Quand j’ai reçu le César du meilleur premier film, je me suis dit : “Il faut que je le rende, ce n’est pas mon premier long-métrage !” » Si raconter les émeutes de Los Angeles lui tient tant à cœur, c’est parce que se sentir étranger dans son propre pays comme le vivent nombre d’Afro-Américains, c’est un peu la vie de Deniz Gamze Ergüven.
Entre deux cultures
Née à Ankara en 1978, elle arrive en France à l’âge de six mois pour en repartir neuf ans plus tard, puis y revenir à l’adolescence. Une série d’allers et retours, entre deux cultures, deux pays, le sentiment de n’être jamais vraiment à sa place. À Paris, cette fille de diplomate – à l’Unesco d’abord, puis à l’OCDE – fait ses classes à l’école bilingue en anglais, et grandit dans un environnement bourgeois et lettré. En France, ses parents recréent dans l’appartement familial une « capsule » de Turquie, un « îlot », où les compatriotes de passage viennent dîner. « Il y avait toujours la notion qu’on allait repartir un jour », se souvient-elle.
En 1987, la famille retourne au pays, Deniz et sa sœur, Zeynep, découvrent Ankara, « une ville sans grand intérêt », selon elle, mais « où la communauté passe avant l’individu ». Deux années « extrêmement heureuses », les souvenirs d’une cité où les enfants jouent ensemble dans la rue et où des liens très forts se tissent avec ses cousines, l’approfondissement de la sororité dont elle s’inspirera pour le sensuel Mustang. Elle pense y rester toute sa vie, mais ses parents divorcent et sa mère ramène les filles en France. Les années suivantes, elle se rend régulièrement en Turquie, pour des vacances ou de longs week-ends.
Il a fallu le succès de « Mustang » pour que Deniz Gamze Ergüven obtienne enfin la nationalité française.
LOUIS CANADAS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
Lorsque sa mère se remarie et décide d’y retourner, en 1993, les sœurs refusent de la suivre. Deniz a 15 ans, sa sœur 17, elles restent seules dans le petit appartement du 15e arrondissement de Paris. « On vivait toutes les deux, on signait nos bulletins, on se faisait à manger, on gérait notre budget, la paperasse, on a à peu près tout cassé dans l’appartement car on ne savait pas se servir de l’électroménager ni mettre l’eau chaude ! » Elles sont seules, certes, mais studieuses et « sages » : « Comme on n’avait aucun interdit, il n’y avait pas de transgressions. »
« J’AI PRIS CONSCIENCE QU’IL Y AVAIT UN PROBLÈME D’INTÉGRATION DANS CE PAYS. CE SENTIMENT D’ÊTRE UN CITOYEN DE SECONDE ZONE SIGNIFIE QUELQUE CHOSE POUR MOI. » DENIZ GAMZE ERGÜVEN
Après le bac, elle fait des études de lettres et d’histoire à Jussieu, avant une maîtrise d’histoire afro-américaine qui finit par la conduire à passer un an à l’université de Johannesburg, en Afrique du Sud. Le sort des Afro-Américains lui parle, les émeutes de 2005 en France résonnent en elle. Elle n’est pas confrontée aux mêmes problèmes économiques et sociaux que les jeunes de ces banlieues qui s’enflamment, mais elle partage le mal-être de ceux auxquels on ne reconnaît pas complètement le droit d’être français. « J’ai lu tous les articles, j’ai essayé de comprendre. Le malaise que je ressentais s’est matérialisé, j’ai pris conscience qu’il y avait un problème d’intégration dans ce pays. Ce sentiment d’être un citoyen de seconde zone signifie quelque chose pour moi. »
La République lui a refusé par deux fois la nationalité française. Plus qu’un échec, une douleur. « Sur l’échelle de l’amoureuse éconduite, il n’y avait pas de niveau plus haut », lâche-t-elle avec l’élégant phrasé qui la caractérise. Elle en retire « un sentiment d’injustice totale », fait appel. Longtemps en vain.
« POUR DEVENIR FRANÇAISE, IL A FALLU UN MARI FRANÇAIS, UN ENFANT FRANÇAIS ET UN SUCCÈS PROFESSIONNEL. »
Elle raconte les heures passées à la préfecture pour les renouvellements de sa carte de séjour, « la sensation de revenir toujours à la case départ, au degré zéro de l’arrivée en France », les humiliations, la peur d’être refoulée à chaque passage douanier, « l’absurdité » de l’administration qui lui dénie le droit d’être française alors qu’elle a grandi, étudié, travaillé en France. « J’expliquais ma vie et on me répondait : “Ça ne compte pas.” C’est avilissant, de ne pas pouvoir dire ce que l’on est : je ne me sentais pas autorisée à me qualifier de française et affirmer que j’étais turque sonnait faux pour moi. » Deniz Gamze Ergüven a obtenu sa naturalisation après le triomphe de Mustang et a pu voter pour la première fois à l’élection présidentielle de 2017. « Il a fallu un mari français, un enfant français et un succès professionnel », relève-t-elle sobrement.
Depuis Mustang, sa vie a changé : la naissance d’un petit garçon pendant le montage, des récompenses en pagaille, la réalisation de Kings, la création d’une maison de production avec sa sœur. Le jour où on la rencontre, elle revient tout juste des États-Unis, où elle a tourné deux épisodes de The First, la nouvelle série d’un des scénaristes de House of Cards, avec Sean Penn, pour la plate-forme vidéo Hulu.
Elle a plein de projets dans sa besace. « Elle est encore dans la boulimie, dans l’énergie de ce qui n’a pas été », observe Charles Gillibert. Deniz Gamze Ergüven a l’impression d’être « passée de l’autre côté du miroir ». Mais elle sera « toujours la fille inquiète au contrôle des passeports ».
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