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LCI avec AFP, 10/05/2019
Anaïs Condomines
Education
A LA LOUPE – Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a réagi à une information du Point, révélant l’intention du président Turc Erdogan d’implanter des lycées turcs en France. Pression politique ou prosélytisme religieux, on fait le point sur la question avec un spécialiste.
L’information se cachait dans un « indiscret » du Point. Un entrefilet, publié le 3 mai dernier, qui faisait état de la volonté du président turc Recep Tayyip Erdogan de « créer des lycées turcs en France ». Selon ce billet citant des sources proches du dossier, une délégation « chargée d’observer les lycées internationaux » serait attendue en France les 20 et 21 mai prochains, en vue « d’exiger ensuite de pouvoir y créer des établissements scolaires turcs ». En parallèle, indiquait l’article, des pressions seraient opérées sur place, au sein des lycées hexagonaux, quant aux « fondements légaux de la scolarisation d’enfants turcs dans ces établissements ».
Une démarche perçue par certains comme une tentative de prosélytisme religieux, à l’heure où le chef de l’AKP, parti islamo-conservateur, tente de refermer la parenthèse du kémalisme, du nom de Mustafa Kemal (Atatürk), premier président de la République de Turquie, résolument pro-occidental et favorable aux principes de la laïcité.
Blanquer dit « non »
C’est d’ailleurs ce que semble en avoir retenu le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, invité à réagir sur ce point sur RMC, ce vendredi matin : « J’ai bien entendu vu cette question » affirme-t-il. « Chacun sait que la Turquie est dans une logique particulière. Elle a tourné le dos à la laïcité qui a caractérisé son histoire pendant des décennies et elle est dans une logique de fondamentalisme islamiste et d’extension. On doit être totalement lucides par rapport à cet enjeu et donc je suis évidemment très vigilant sur cette initiative. »
Sur cette volonté d’Erdogan d’implanter des lycées turcs en France, qui paraît être prise au sérieux par le ministère, Blanquer répond « non ». « Je lui dis non, parce que je pense que nous avons aujourd’hui trop de gestes inamicaux qui nous viennent de la Turquie, nous avons trop d’inquiétudes sur ce que font déjà les autorités turques vis-à -vis des communautés turques en France, pour ne pas être très vigilants sur ce genre de projets. (…) Je sais bien que le pouvoir turc cherche à faire pression sur nos lycées (…). »
Des enjeux politiques
Pour mieux comprendre les enjeux d’une telle déclaration, LCI a interrogé Jean Marcou, enseignant à sciences-po Grenoble, spécialiste de la Turquie contemporaine. Premier constat : cette volonté prêtée à Erdogan de toucher au système éducatif, à domicile et à l’international, semble cohérente avec les informations reçues depuis Ankara. D’ailleurs, le développement des écoles turques à travers le monde n’a rien d’une nouveauté : « Depuis vingt ans, il y a un développement assez important des écoles turques dans le monde », nous rappelle l’enseignant. « C’est ce qu’on appelait les ‘écoles Gülen’, qui se sont largement implantées en Asie centrale et en Afrique, notamment. »
A leur initiative, Fethullah Gülen, intellectuel turc extrêmement influent, partisan d’une approche moderne de l’islam et dont les relations avec le pouvoir en place à Ankara se sont très nettement détériorées ces dernières années. « A présent, confirme l’expert, le gouvernement combat le mouvement Gülen, qu’il accuse d’être derrière le coup d’Etat de 2016 et tente de fermer ses écoles. » Reste que persiste encore cette même idée : « Les Occidentaux ouvrent des écoles chez nous, pourquoi est-ce qu’on n’ouvrirait pas des écoles chez les Occidentaux ? »
Quant aux pressions exercées sur les écoles françaises soumises aux programmes français, en Turquie, celles-ci semblent avérées, selon Jean Marcou. « A ma connaissance ces établissements sont au nombre de deux. Mais ils représentent quand même un enjeu car des enfants turcs ou issus de couples mixtes y sont scolarisés. Le gouvernement les considère comme à la limite de la légalité car elles n’appliquent pas le programme turc. Il y a une polémique virulente sur ce point, le gouvernement souhaiterait ne plus reconnaître cet enseignement. »
Une provocation dans un contexte tendu ?
Le tout se déroule dans un contexte d’accrochages réguliers entre la Turquie et l’Occident, donnant à ce sujet une coloration éminemment politique. L’enseignant grenoblois énumère ainsi : « En France, on a commémoré le génocide arménien, ce qui pour le gouvernement turc est inacceptable. Emmanuel Macron a également reçu dernièrement des représentants de la milice kurde en Syrie (YPG), considérée par Erdogan comme une branche du PKK, qualifiée d’organisation terroriste. »
Alors, même si cette volonté d’introduire des lycées turcs en France ne relève, selon Jean Marcou, « pas complètement d’une utopie », il pourrait d’abord s’agir d’une simple provocation. Car la Turquie dispose-t-elle seulement des moyens nécessaires pour ouvrir des écoles et des lycées en Occident ? Pour le spécialiste, la question reste ouverte : « La Turquie est douée en soft power, grâce à ses feuilletons notamment. Mais de là à mettre en place de tels programmes dans les prochains mois, c’est moins évident. La Turquie est un pays en crise budgétaire. »
Par ailleurs, il rappelle que le gouvernement AKP a toujours parlé à sa diaspora, qui constitue désormais un réservoir électoral non négligeable. « Cette volonté affichée d’implanter des lycées, c’est peut-être aussi une façon de rappeler que les communautés turques sont bien présentes à l’international et, qu’à travers un enseignement qui leur soit spécialement réservé, il serait possible de les influencer. » Contacté ce vendredi par LCI à ce sujet, le Quai d’Orsay n’a quant à lui pas donné suite.
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